Lula, la chute de l’icône de la gauche brésilienne
Lula, la chute de l’icône de la gauche brésilienne
Qualifié en 2009 de « politicien le plus populaire au monde » par Barack Obama, l’ex-président du Brésil, condamné pour corruption, ne devrait pas échapper à la prison.
Soutiens de Lula, le 4 avril à São Bernardo do Campo (Etat de São Paulo). / Andre Penner / AP
« J’adore ce mec », lançait un Barack Obama tout sourire en avril 2009, au sommet du G20 de Londres. « C’est le politicien le plus populaire au monde », ajoutait le président américain, alors tout juste entré en fonctions, en empoignant la main de son homologue brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva.
Neuf ans plus tard, celui qui a gouverné le plus grand pays d’Amérique latine entre 2003 et 2010 et espère encore faire un nouveau mandat, n’échappera finalement pas à la prison, après sa condamnation en janvier à douze ans de détention pour corruption. Approuvée par la Cour suprême, mercredi 4 avril, sa détention pourrait, sauf ultime surprise, commencer autour du 10 avril. Chronologie de l’ascension et de la chute d’un géant politique.
1945 - 1966 : l’enfant pauvre
Rien ne prédestinait à un destin national ce cadet d’une fratrie de huit enfants, né dans une famille d’agriculteurs pauvres du Pernambouc, au nord-est du Brésil, en 1945. Lula a 7 ans lorsqu’il émigre avec sa famille à Sao Paulo, dans le sud, pour échapper à la misère. « Quand on a connu la faim, on ne renonce jamais », rappelait-il régulièrement.
Enfant, il cire des chaussures pour gagner quelques pièces, et fait des heures dans une blanchisserie. C’est à 14 ans qu’il devient ouvrier, d’abord dans les entrepôts généraux Columbia puis comme métallo dans la fabrique de vis Marte. De ses débuts professionnels, il garde un stigmate physique : il perd l’auriculaire gauche dans un accident du travail.
1975 - 1985 : le syndicaliste
En 1968, alors qu’il est métallo aux usines Villares, l’une des principales industries métallurgiques du pays, à São Bernardo do Campo (Etat de São Paulo), Lula entre au syndicat des métallurgistes. Au fil des ans, l’ouvrier se fait connaître par son charisme et gagne en responsabilités. En 1975, il est élu président du syndicat avec 92 % des voix. Il représente alors 100 000 travailleurs.
Après une décennie sans grève ouvrière, le Brésil, gouverné par une junte militaire depuis 1964, est secoué à partir de mars 1979 par un grand mouvement de grève dans l’industrie. La répression policière et l’absence de réactions politiques poussent Lula à fonder, en 1980, le Parti de travailleurs (PT). Acteur majeur du mouvement « Diretas ja », qui contribue à mettre un terme au régime militaire en 1985, le héros ouvrier emprunte le chemin de la politique, qu’il ne quittera plus.
1986 - 2002 : le politicien
C’est en 1986 que Lula est élu député fédéral de São Paulo, avec le plus grand nombre de votes du pays. A ce poste, il continue à se faire connaître du grand public, à la faveur de slogans chocs et de coups d’éclats. « Au Brésil, quand un pauvre vole, il va en prison. Quand un riche vole, il devient ministre ! », lance-t-il ainsi en 1988.
Le PT le choisit pour candidat à la présidence de la République en 1989, à l’occasion du premier scrutin au suffrage direct pour cette fonction depuis vingt-neuf ans. Il perd de justesse. En 1994 et en 1998, Lula, à nouveau candidat à la présidentielle, sera battu deux fois par le social-démocrate Fernando Henrique Cardoso.
2003 : le président
Après ses trois échecs électoraux, Lula, fort d’une alliance politique élargie, remporte le scrutin présidentiel en octobre 2002, avec 61,3 % des votes. Il a 57 ans. Son projet est axé sur un ambitieux programme social en faveur des plus démunis, baptisé la « Bolsa familia ».
A la tête du pays, Lula poursuit une cure de rigueur de trois ans, faisant notamment voter l’alignement du régime des retraites public sur celui du privé. Puis, le miracle socio-économique du géant émergent d’Amérique latine opère.
Sous sa présidence, 30 millions de Brésiliens sortent de la misère pour grossir les rangs de la classe moyenne. Rien ne semble résister à celui qui devient l’icône de la gauche latino-américaine, et le chantre de la démocratie participative. ll met notamment en place le programme « Fome Zero » (« faim zéro »), qui garantit l’accès aux produits alimentaires de base.
2005 : la première affaire
Lula est au sommet de sa popularité, mais son image est écornée par une première affaire. En 2005, le scandale « Mensalao » éclate : la justice découvre que le PT a versé sous le premier mandat de Lula des pots-de-vins à des parlementaires pour qu’ils soutiennent les textes présentés par le gouvernement. Si plusieurs hauts dirigeants du parti sont condamnés à des peines de prison et plusieurs ministres démis de leurs fonctions, Lula échappe à toute poursuite pénale.
En 2006, il reste le grand favori de la présidentielle, et est élu au second tour avec 60,8 % des suffrages. Il poursuit sa politique sociale, débloquant près de 3 milliards d’euros pour les habitants des favelas. En 2010, le magazine Time le désigne « le dirigeant le plus influent du monde ».
Des manifestants demandent la condamnation de Lula, le 3 avril à Rio de Janeiro. / Silvia Izquierdo / AP
2011 : le départ
Au dernier jour de 2010, Lula est obligé de quitter le pouvoir, la Constitution lui interdisant de briguer un troisième mandat consécutif. Fort d’un taux de popularité de 87 %, il lègue à sa dauphine, Dilma Rousseff, une croissance économique annuelle de 7,5 %.
Quelques mois plus tard, l’ancien président, âgé de 66 ans, annonce être atteint d’un cancer de la gorge. Les médecins le déclarent guéri l’année suivante. L’ancien homme fort du Brésil reste un conseiller important de Dilma Rousseff.
2014 : Petrobras
En mars 2014, le Brésil est secoué par un scandale aux proportions inédites. L’affaire Petrobras, du nom de l’entreprise pétrolière contrôlée par l’Etat, touche à la fois des grands acteurs économiques (les géants brésiliens du BTP) et des personnalités appartenant à la coalition de centre gauche, avec laquelle gouverne la présidente Dilma Rousseff. Elle met au jour des malversations et dessous de table ayant eu pour principal objectif de financer des campagnes électorales.
L’opération « Lava Jato » (lavage express), menée par le juge Sergio Moro, fait tomber des têtes. Dilma Rousseff est dans le viseur des juges. Lula est accusé d’avoir « joué un rôle central » dans le système de corruption, faisant l’objet de trois enquêtes au sein de cette affaire tentaculaire. Selon les policiers, l’ancien président aurait touché près d’un million d’euros sous la forme de travaux de rénovation d’un appartement dans une station balnéaire en échange de contrats passés avec l’entreprise.
Lula, le 28 mars à Curitiba (Etat du Paraná), dans le sud du Brésil. / RODOLFO BUHRER / REUTERS
2016-2018 : échapper à la prison
Dénonçant une campagne d’acharnement de la part des juges, Lula tente de se mettre à l’abri de la justice en entrant au gouvernement de Dilma Rousseff, elle-même menacée d’une procédure de destitution. La manœuvre est bloquée par la justice. Le 31 août 2016, Dilma Rousseff est destituée par les sénateurs. En septembre 2016, Lula est inculpé pour tentative d’entrave à la justice, dans le cadre de l’enquête sur Petrobras.
Lula maintient pourtant son projet de se porter candidat à la présidentielle de 2018, se disant prêt à « prendre le pouvoir » en 2018. En juillet 2017, il est condamné à neuf ans et demi de prison pour corruption passive et blanchiment d’argent, mais il multiplie les recours pour éviter la case prison.
En janvier 2018, sa condamnation en appel est aggravée à douze ans et un mois de prison. Mercredi 4 avril, la Cour suprême lui refuse sa demande d’habeas corpus – le droit de ne pas être emprisonné tant que tous les recours judiciaires n’ont pas été épuisés.
Pourra-t-il se maintenir comme candidat à la présidentielle d’octobre ? S’il parvient à se présenter, Lula reste le grand favori du scrutin, avec 35 % des intentions de vote. Sans lui, le Parti des travailleurs n’est crédité que de 3 % des suffrages. Même derrière les barreaux, le Brésil ne semble pas en avoir fini avec l’ère Lula.