Droit de retrait au lycée Utrillo de Stains après des violences en série
Droit de retrait au lycée Utrillo de Stains après des violences en série
Par Violaine Morin
Depuis plusieurs semaines, l’établissement de Seine-Saint-Denis est le théâtre d’agressions et de règlements de comptes entre bandes rivales. Des professeurs exercent leur droit de retrait, depuis le 3 avril.
De l’extérieur, le lycée Maurice-Utrillo de Stains (Seine-Saint-Denis), posé en face d’un terrain vague, ne laisse rien percevoir du climat qui y règne. Jeudi 5 avril, des grappes d’élèves s’approchent des grilles, cherchant à savoir s’ils auront cours en première heure ou pas. Plusieurs dizaines d’enseignants doivent participer à une assemblée générale, puis à une réunion avec des représentants du rectorat, venus montrer qu’ils font tout pour « accompagner » l’équipe pédagogique, traumatisée par une série de violences aux abords de l’établissement.
Mardi, trois agressions caractérisées ont eu lieu sur le parvis du lycée. Tôt le matin, deux élèves ont été menacés avec une arme à feu par des individus cagoulés à bord d’une voiture. Vers midi, un membre de l’équipe éducative a été menacé à l’arme blanche. Enfin, en début d’après-midi, un élève a été frappé devant le lycée. « Dans les trois cas, des armes ont été sorties », assure Fabienne Giuliani, professeure d’histoire-géographie syndiquée chez SUD-Education.
« Vengeances entre cités »
Ce déchaînement de violence n’est pas isolé. Depuis la rentrée de septembre, les faits se sont multipliés. Ces agressions, associées à des règlements de comptes entre cités rivales de Pierrefitte-sur-Seine et de Stains, ont fait un blessé grave le 12 mars, lorsqu’un élève a été frappé à la tête à coup de marteau sur le parvis. Une bande est revenue plus tard dans la même journée menacer d’autres élèves, « armée de couteaux et de machettes », selon plusieurs témoins. Des coups de feu ont été entendus. Dans ces différents cycles de « vengeances entre cités », selon le mot des enseignants, les victimes refusent de porter plainte.
Depuis le 3 avril, une grande partie de l’équipe enseignante du lycée a décidé d’exercer leur droit de retrait et refuse de reprendre le travail en l’absence de garanties pour leur sécurité et celle des élèves. Au matin du jeudi 5 avril, une délégation du rectorat est venue rencontrer l’équipe pédagogique. Fermée aux journalistes, cette réunion apparemment tendue a été jugée décevante par les enseignants, dont certains ont quitté la table, annonçant qu’ils refusaient toujours de faire cours.
Le rectorat, de son côté, insiste sur la « complexité » du problème. Régis Astruc, proviseur vie scolaire à la direction académique de Seine-Saint-Denis, admet avoir entendu « beaucoup d’émotion et de souffrance » de la part de l’équipe pédagogique. Une cellule d’écoute, mise en place jeudi après-midi, sera disponible « aussi longtemps que nécessaire ». Mais les agressions ont lieu à l’extérieur de l’établissement, en dehors du champ de compétence de l’éducation nationale. L’urgence est donc d’articuler les différentes échelles du problème. Vendredi 6, un conseil local pour la sécurité et la prévention de la délinquance devait réunir à la sous-préfecture de Bobigny les différents acteurs : éducation nationale, police, parquet et mairie. Mais pour les enseignants, cette concertation ne répond pas à leurs demandes : l’augmentation du nombre d’adultes dans l’établissement et la pérennisation du poste de surveillant obtenu en janvier.
« On est abandonnés »
En fin de matinée jeudi, alors que les journalistes sont escortés à l’extérieur de l’établissement, la conversation va bon train entre une élève et un membre de l’équipe mobile de sécurité : « Vous et nous, excusez-moi, mais ça revient au même, en fait », lance la jeune fille à l’agent, un colosse qui la dépasse de deux ou trois têtes. « Vous n’êtes pas armé, alors qu’eux, oui. » Sur le parvis du lycée, quelques élèves livrent leurs inquiétudes. Beaucoup disent ne pas se sentir « visés » parce qu’ils n’ont « de problèmes avec personne » même si s’ils sont choqués par cette violence. « Ils viennent régler des comptes avec quelques personnes, mais ça touche tout le monde, déplore Nawel, 17 ans, élève de terminale. On a l’impression que personne ne réagit, comme si c’était normal, parce qu’on est dans un département sensible. » Il faut alors dialoguer, tenter de se raisonner : non, bien sûr, personne ne trouve normal d’être menacé à l’arme à feu sur le chemin du lycée.
Jeudi soir, alors que les parents d’élèves étaient invités à la remise des bulletins trimestriels, une nouvelle AG s’est improvisée, selon un enseignant présent. Vendredi matin, les élèves ont décidé de ne plus aller en cours et d’organiser des manifestations spontanées dans l’établissement.