Humiliations, harcèlement… le club de Créteil a ignoré pendant dix ans les alertes sur l’entraîneur Giscard Samba
Humiliations, harcèlement... le club de Créteil a ignoré pendant dix ans les alertes sur l’entraîneur Giscard Samba
Par Yann Bouchez
En 2008, des athlètes ont accusé l’entraîneur Giscard Samba de harcèlement et d’intimidation et tenté d’alerter les dirigeants de l’US Créteil, en vain.
Les mots sont ceux d’une mère en colère. Pour mieux interpeller les destinataires du courrier, daté du 2 janvier 2009, une phrase a été écrite en capitales, et soulignée : « Ouvrez les yeux !! » La lettre se conclut par une prédiction, en forme d’avertissement : « Un jour ou l’autre il y aura encore des problèmes, et là vous serez tous éclaboussés. Personne ne pourra dire qu’il ne savait pas ! »
Neuf ans plus tard, Dominique Desroses éprouve sûrement un fort sentiment de gâchis. Ses mises en garde auprès des dirigeants du club de l’Union sportive Créteil contre Giscard Samba, l’ex-entraîneur de sa fille Anaïs, sont restées vaines, malgré ses relances. Dans son courrier de 2009, elle accusait le coach d’avoir « harcelé Anaïs sur des choses qui n’avaient rien à voir avec l’athlétisme ».
A la fin de mars, une enquête visant ce technicien renommé a été ouverte par le parquet de Créteil pour « viol, agression sexuelle et harcèlement sexuel » et confiée à la police judiciaire du Val-de-Marne. Une athlète a porté plainte contre lui en 2017, et une fonctionnaire de la direction régionale de la jeunesse et des sports d’Ile-de-France a alerté la procureure de Créteil, comme l’a révélé Le Monde le 1er avril.
Ces dix dernières années, plusieurs personnes, athlètes ou parents de sportives, ont tenté d’alerter le club. Sans succès. Les faits dénoncés ne revêtaient pas la même gravité, mais des accusations similaires revenaient en boucle : humiliations, harcèlement, allusions sexuelles, emprise mentale du coach sur le groupe, intimidations… « Ce qui m’énerve, c’est à quel point ils ont minimisé, déplore Anaïs Desroses, à propos des dirigeants de son ancien club. Si on avait pris les choses au sérieux, on aurait pu éviter ces choses-là. »
Un blâme, sans conséquence
Aujourd’hui âgée de 28 ans et professeure d’éducation physique et sportive, la jeune femme a commencé l’athlétisme à l’US Créteil, à 9 ans. En 2006, elle voit arriver au club Giscard Samba et Cindy Billaud, l’une des meilleures spécialistes du 100 mètres haies. Les deux sont en couple. Au sein du groupe, mieux vaut ne pas parler de ce sujet. La première année se passe correctement, hormis des « blagues salaces » de l’entraîneur en salle de musculation qui mettent les jeunes femmes mal à l’aise. Mais la situation se gâte lors de la deuxième saison, à partir de l’automne 2007.
A cette période, Anaïs Desroses se souvient d’un échange qui marque le début de ses ennuis. « Sur MSN, Giscard Samba m’a envoyé un message : “Ce serait bien qu’on se fasse un ciné en tête à tête.” Je lui ai répondu : “Non, je ne suis pas ta pote. Je ne vais pas au cinéma toute seule avec toi.” »
Les dénigrements à l’égard de la jeune femme, devant le groupe, seraient alors devenus réguliers. Déprimée, elle finit, au bout de plusieurs mois, par parler de la situation à sa mère. Après avoir tenté de discuter toute seule avec Giscard Samba, Dominique Desroses exige une « confrontation générale » avec l’entraîneur et les dirigeants. Elle multiplie les courriers, en vain. L’entraîneur reçoit un blâme, sans conséquence. A l’issue de la saison 2007-2008, sa fille quitte le club où elle s’entraînait depuis toujours.
« Je te retrouverai, où que tu ailles »
A l’époque, une autre athlète connaît des problèmes avec le technicien et tente aussi d’alerter les dirigeants. Amandine – son prénom a été changé – étudie aux Etats-Unis et rend compte de ses entraînements à Giscard Samba par courriel. Mais les messages de l’entraîneur relèvent plus de la drague que des conseils sportifs. Les allusions sexuelles sont fréquentes dans les courriels de Samba, que Le Monde a pu consulter. Comme celui-ci :
« Toi aussi comment veux tu qu’ à ton retour qu’en se fasse (sic) le petit tête-à-tête prévu puis que l’on guingue délicatement, chaudement, langoureusement à se couper le souffle, à te couper le souffle, si je te boude maintenant… »
A son retour en France, elle se rend compte que l’entraîneur la fait passer pour une « mauvaise fille » auprès des athlètes, et notamment de Cindy Billaud.
Cette dernière estime avec le recul que son ex-entraîneur et compagnon lui a « retourné le cerveau » : « Il ne peut pas continuer à entraîner des filles, estime-t-elle, parce que c’est un terrain de chasse pour lui. Il prend les filles, il les met en confiance quelques semaines et il suffit qu’elles rigolent à une de ses blagues déplacées, sexuelles, pour que lui s’imagine qu’il y a une ouverture. Et boum, ça y est, c’est parti. »
En octobre 2008, Amandine envoie une lettre au président de l’US Créteil, évoquant des e-mails qui « ont commencé à dévier ». Elle y raconte qu’à son retour en France, à l’été 2008, Giscard Samba l’a menacée. « Je te retrouverai, où que tu ailles », lui aurait dit le coach.
Une main courante déposée en 2008
A son courrier, Amandine n’obtient aucune réponse. Le 15 décembre 2008, elle dépose une main courante au commissariat de Thiais contre son entraîneur, pour « injures » et « menaces ». Camille Lecomte, le président général de l’US Créteil, a publié un communiqué, mardi 3 avril, dans lequel il « demande aux responsables de l’USC athlétisme de suspendre l’entraîneur, à titre conservatoire, de toutes ses fonctions ». Déjà en fonction en 2009, il avait été destinataire des courriers de Dominique Desroses et de celui d’Amandine. Pourquoi n’a-t-il jamais pris de réelle mesure, si ce n’est un blâme ? « M. Lecomte est actuellement en congé, il est dans une station et très difficilement joignable, a fait savoir Olivier Place, le secrétaire général du club. Il sera de retour en début de semaine prochaine. »
Sollicitée, Julie Huberson, présidente de la section athlétisme de l’US Créteil et par ailleurs compagne actuelle de l’entraîneur, ne nous a pas répondu. Giscard Samba refuse toujours de s’exprimer publiquement. Mercredi 4 avril, son avocat, Adil Sahban, avait dénoncé des « accusations calomnieuses » dans un communiqué adressé à plusieurs médias. Contacté par Le Monde, il n’a pas donné suite.
« La lâcheté de tous, c’était assez impressionnant », s’agace Amandine à propos du manque de réaction des dirigeants de Créteil, il y a dix ans. « Une secrétaire du club m’a un jour dit : “Tu sais, c’est plus facile de remplacer une athlète qu’un entraîneur” », se remémore Anaïs Desroses.
Dans la préfecture du Val-de-Marne, l’US Créteil, qui compte une trentaine de sections sportives, est une institution. Le club regroupe plusieurs milliers de pratiquants. A elle seule, la section athlétisme, créée en 1963, comptait 348 licenciés en 2017 dont certaines pointures, à l’image du médaillé de bronze olympique du 110 mètres haies Dimitri Bascou – entraîné par Samba – ou du champion du monde du 800 mètres, Pierre-Ambroise Bosse.
« Il faut que tu fasses attention, avec Giscard… »
Selon nos informations, les présidents successifs de la section athlétisme ont aussi été alertés par des sportives sans jamais prendre la décision de se séparer de l’entraîneur. Patrice Gergès, aujourd’hui directeur technique national de la Fédération française d’athlétisme, a un temps été de ceux-là. Il s’est également occupé de la préparation sportive d’Amandine, qui l’a averti de sa main courante de décembre 2008 et du comportement de Giscard Samba à son égard.
« J’ai été président du club à partir de 2009, et on m’avait dit : “Il faut que tu fasses attention, avec Giscard…” », reconnaît aujourd’hui le DTN. « En 2010, j’avais pris la décision d’être présent à chaque séance d’entraînement, ce que j’ai fait pendant un an. Je n’ai rien remarqué. (…) Je pense que ça l’avait peut être calmé. Ma présence permanente cassait la bulle dans laquelle il était avec son groupe. De 2010 à 2012, j’ai été tranquille. Après, je suis parti et je me demande si on ne serait pas retombé dans des histoires comme quand je suis arrivé… »
« Patrice est quelqu’un de juste, mais là il s’est planté », estime Amandine. Les « histoires » visant Giscard Samba avaient depuis longtemps dépassé les frontières de Créteil. Patrice Gergès se rappelle « une réunion avec des entraîneurs de sprint-haies » de différents clubs français, il y a quelques mois. « Tous m’ont dit : “Ben oui, on le sait depuis longtemps.” » La commission de discipline de la FFA devrait se prononcer sur le cas de Giscard Samba à la « mi-mai ».