Au festival du cinéma de Brive, la splendeur du tri sélectif
Au festival du cinéma de Brive, la splendeur du tri sélectif
Par Murielle Joudet
La 15ème édition du rendez-vous du moyen-métrage a récompensé, dimanche 8 avril, « Rémy » de Guillaume Lillo et « Derniers jours à Shibati » de Hendrick Dusollier.
L’affiche de la 15ème édition du festival. / DR
« Faire du cinéma ça sert à apprendre à vivre, ça sert à faire un lit ». Cette réplique que Jean Eustache faisait dire à Jean-Pierre Léaud dans La maman et la putain nous est revenue en tête, dimanche 8 avril, lors de la remise du Grand prix au festival du moyen-métrage de Brive qui fêtait ses 15 ans. Le jury, présidé par Romane Bohringer, a récompensé Rémy de Guillaume Lillo. Sur scène, le cinéaste très ému qui montrait pour la première fois son film au public soulignait malicieusement qu’il avait été « fait dans un lit pendant un an ». Faire du cinéma c’est apprendre à se remettre au lit.
Pour autant, Rémy laisse croire que le cinéaste a dû se lever pour pouvoir filmer l’errance dépressive de son personnage qui n’apparaît jamais à l’écran (c’est lui qui porte la caméra). Rémy, cloîtré dans la maison vide de ses parents, rumine son mal-être, parle à son chat prénommé Michigan, se promène dans une forêt enneigée tandis qu’une amie lui envoie les vidéos de ses vacances paradisiaques. On pense à l’écriture intime et minimale d’un Alain Cavalier plongée dans une humeur neurasthénique. Seule une voix off est là pour nous guider à travers ce bain d’images et de sensations : présences fugaces d’animaux, chouette, biche blessée, poule, cadavre de marmotte, marche sur un lac gelé qui se craquèle et englouti le héros, trajet nocturne en voiture, fêtes de fin d’année passées en solitaire.
Le journal quotidien de Rémy dresse peu à peu le portrait d’un personnage à l’humour acide et à la mélancolie féroce et onirique. Mais si ça n’était que ça. Car il est difficile d’évoquer Rémy sans dévoiler son concept, révélé par le générique final. Guillaume Lillo n’a tourné aucune image, tout provient d’extraits de vidéos téléchargées sur internet et le résultat est confondant. En trente minutes, Rémy se fait l’exemple éblouissant d’un onirisme recyclé : il n’y aurait plus qu’à se servir dans l’inépuisable marmite d’images qu’est Youtube, puiser dans les images surabondantes des autres pour faire un film. Cette prouesse alitée fut l’un des grands moments du festival.
Un journal en caméra portée
C’est un autre onirisme mâtiné de malice qu’est venu récompenser le Prix du jury. Derniers jours à Shibati de Hendrick Dusollier, primé au Cinéma du réel 2017, est comme Rémy, un journal en caméra portée. Le cinéaste s’égare en Chine dans l’immense ville de Chongqing et plus particulièrement dans un des quartiers les plus pauvres de la ville voué à la démolition. Pour tout bagage le cinéaste a sa caméra, un appareil photo et quelques insuffisants rudiments de chinois. Il aime à se perdre dans les ruelles infestées de détritus où s’entassent des habitants joyeux et hospitaliers qui s’amusent de cet occidental mutique. Pour eux, la présence d’un filmeur est forcément liée à son imminente disparition, laissant planer l’idée émouvante qu’on ne filme jamais que ce qui s’apprête à disparaître.
On devine que le cinéaste n’a pu véritablement découvrir son film qu’au moment de traduire la matière récoltée, bien après son voyage. Ce simple fait rend Derniers jours à Shibati extrêmement attachant car contrairement à beaucoup de documentaires qui, trop souvent, pêchent par excès de surplomb, c’est ici ceux qui sont filmés qui guident le filmer. Hendrick Dusollier se met en situation de faiblesse, ne cherche rien en particulier et cela lui permet de trouver, de provoquer la rencontre avec un jeune enfant, un coiffeur ou encore une vieille dame qui entasse dans un coin qu’elle surnomme « La maison des rêves » les objets trouvés dans les poubelles du quartier, composant une sorte de petit musée où son imaginaire peut se promener sans entraves.
« C’est ce qu’on appelle du tri sélectif […] C’est la maison de mes pensées, comme je n’ai pas de maison à moi […] J’imagine tout donc j’ai tout ». Le cinéaste revient tous les six mois prendre des nouvelles de la galerie de personnages qui l’a peu à peu adopté. Le quartier enfin démoli, les habitants sont relogés dans des appartements. Dans son message de remerciements, le cinéaste nous apprendra qu’il continue de filmer la vieille dame relogée chez son fils. Celle-ci, désormais loin de la maison des rêves, empêchée de trouver dans les déchets des autres la matière de ses rêveries, s’ennuie.