Les Etats-Unis demandent à la Colombie l’extradition d’un ancien chef des FARC
Les Etats-Unis demandent à la Colombie l’extradition d’un ancien chef des FARC
Par Marie Delcas (Bogota, correspondante)
Jesus Santrich a été arrêté le 9 avril. Il est accusé de trafic de drogue après la signature de l’accord de paix avec la guérilla.
Jesus Santrich à La Havane, en 2014. / ADALBERTO ROQUE / AFP
Ancien chef des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC, extrême gauche) et ex-négociateur de paix, Jesus Santrich a été arrêté, lundi 9 avril, à Bogota. Il est accusé de trafic de drogue commis après la signature de l’accord de 2016 qui a conduit à la démobilisation de la guérilla. Washington a contribué à l’enquête et demande l’extradition de M. Santrich.
« La paix est en danger comme jamais », a réagi sur Twitter Pablo Catatumbo. Comme tous les anciens chefs des FARC, il dénonce le « manque de garanties juridiques ». Les anciens guérilleros restent connus sous l’alias qu’ils ont utilisé pendant leurs années de maquis. Jesus Santrich – Seusis Hernandez Solarte pour l’état civil – y a passé près de trente ans.
« S’il faut signer l’extradition de Jesus Santrich, ma main ne tremblera pas », a déclaré le président Juan Manuel Santos (centre droit), Prix Nobel de la paix 2016, au cours d’une brève allocution télévisée. Le chef de l’Etat était accompagné du procureur Nestor Martinez, qui affirme détenir des preuves « accablantes et irréfutables » de la culpabilité de l’ex-chef guérillero. M. Santrich aurait négocié « depuis juin 2017 et jusqu’en avril 2018 » l’envoi de 10 tonnes de cocaïne aux Etats-Unis, pour un montant de 15 millions de dollars. Le procureur a précisé qu’il avait été interpellé sur la base d’un mandat d’arrêt international.
« Attaque perfide contre la paix »
La date des délits qui sont imputés à M. Santrich est importante, puisque ceux commis avant la signature de l’accord de paix ne sont ni soumis à la justice ordinaire, ni susceptibles d’extradition. La toute nouvelle « justice spéciale pour la paix », créée par l’accord de 2016, devra se prononcer sur la situation de M. Santrich avant que celui-ci soit éventuellement livré aux Américains. La Colombie est l’un des rares pays qui accepte d’extrader ses propres citoyens.
Alors que la campagne électorale pour la présidentielle de mai est engagée, la droite dure – qui n’a cessé de critiquer l’accord de paix et qui reproche au président Santos d’avoir négocié la paix avec des criminels – considère que le cas Santrich lui donne raison.
La Force alternative révolutionnaire commune (FARC), le parti politique issu de la guérilla démobilisée, dénonce un montage, une « attaque perfide contre le processus de paix ». Les partisans de la paix négociée partagent l’inquiétude des anciens guérilleros et s’interrogent sur les raisons de l’arrestation de M. Santrich.
« Difficile d’imaginer qu’il ait pris un tel risque »
La visite officielle de Donald Trump, attendu samedi 14 avril, alimente leurs doutes. Les Etats-Unis se soucient de l’augmentation de la production de cocaïne en Colombie. Le président américain a menacé de retirer au pays son certificat de bonne conduite en matière de lutte contre la drogue et de réduire le montant de l’aide américaine.
« L’arrestation de Santrich, à la veille de la visite de Donald Trump et de la décision concernant la certification de la Colombie, suscite évidemment des questions, estime Sandra Borda, professeure de relations internationales. Il faut connaître les preuves sur la base desquelles il est accusé pour en dire plus. »
Presque aveugle depuis plusieurs années, Jesus Santrich ne quitte ni ses lunettes noires, ni son keffieh palestinien. Tout au long des négociations de paix qui se sont tenues à La Havane, il a maintenu son image de dur, voire de cynique. Mais il a joué un rôle essentiel. Et il a rendu ses armes, comme 8 000 autres combattants.
L’accord de paix ayant octroyé de droit aux FARC dix sièges au Congrès, M. Santrich allait devenir sénateur en août. « Comme tous les anciens guérilleros, Santrich se savait surveillé. Difficile d’imaginer qu’il ait pris un tel risque, considère un proche du président Santos. Mais on ne peut être sûr de rien ni de personne. »
Dans un communiqué publié dans la soirée, la mission de vérification des Nations unies « appelle les institutions colombiennes à évaluer les événements en cours avec tout le discernement possible, compte tenu de l’impact profond qu’auront leurs décisions sur la paix en Colombie ».