Ted Sarandos, directeur des contenus de la plate-forme américaine Netflix, le 1er février 2017. / RICHARD SHOTWELL/INVISION/AP

C’est un rituel lors de l’annonce de la sélection officielle du Festival de Cannes. Thierry Frémaux, le délégué général, refuse d’énumérer les titres qui n’ont pas été retenus, et encore plus de donner les raisons de leur absence. Jeudi 12 avril, en égrenant les titres sélectionnés pour la 71e édition, il a pourtant regretté publiquement l’absence de The Other Side of The Wind, le long-métrage laissé inachevé par Orson Welles, terminé par le réalisateur Peter Bogdanovich et le producteur Frank Marshall. « Ce film avait sa place à Cannes, Orson Welles avait été président du jury », a remarqué Thierry Frémaux.

Mais ce projet a été financé par Netflix et, dans les heures qui ont précédé la conférence de presse cannoise, Ted Sarandos, le responsable des contenus de la plate-forme de streaming, avait annoncé à la publication professionnelle hollywoodienne Variety que son entreprise ne présenterait plus de films à Cannes, après l’exclusion de la compétition des longs-métrages qui ne sortiraient pas en salle.

Respecter la chronologie française des médias

Le délégué général du festival a par ailleurs évoqué un autre film, qui aurait pu prendre part à la compétition si Netflix avait bien voulu respecter la chronologie française. Il peut s’agir de Roma, du Mexicain Alfonso Cuaron (le premier qu’il ait tourné dans son pays depuis Y tu mama tambien), de Hold the Dark, de l’Américain Jeremy Saulnier, ou de Norway, le film du Britannique Paul Greengrass, qui évoque le massacre commis en 2011 sur l’île d’Utoya et à Oslo par Anders Breivik.

Dans l’état des relations entre le Festival et Netflix, les premières mondiales de ces films auront lieu ailleurs que sur la Croisette. Pour Ted Sarandos, la règle qui veut qu’un film sélectionné en compétition soit exploité en salle « est tout à fait contraire à l’esprit de n’importe quel festival ». Cette disposition a été prise après la sélection en compétition, en 2017, d’Okja, du Coréen Bong Joon-ho, et de The Meyerowitz Stories, de l’Américain Noah Baumbach, qui, dans plusieurs pays, sont sortis simultanément en salle et en ligne. La réglementation nationale interdit cette possibilité, et les deux longs-métrages n’ont jamais été projetés sur un grand écran français.

Lire la rencontre avec Ted Sarandos (en mai 2017) : Pour Netflix, « un film peut recevoir la Palme sans sortir en salles »

La direction du Festival de Cannes avait laissé ouverte la possibilité de présenter des films diffusés par Netflix hors compétition, mais M. Sarandos a décliné la proposition : « Il n’y a pas de raison de le faire. Cette règle visait implicitement Netflix, et, quand Thierry l’a annoncée, il nous a explicitement désignés », explique-t-il.

« Dialogue fructueux »

Si le délégué général du Festival de Cannes assure qu’un « dialogue fructueux » se poursuit avec Netflix, le directeur des contenus de la plate-forme rappelle qu’il a « appris la nouvelle réglementation par la presse ». Pierre Lescure, le président du Festival, espère que le débat « ne pourra pas se solder par un “on ne vient plus” ». Mais, pour l’instant, l’impasse est totale, alors que Netflix accroît sans cesse ses investissements dans les longs-métrages – comme The Irishman, de Martin Scorsese, que l’on devrait voir en 2019.

Thierry Frémaux a fait valoir que d’autres acteurs de l’industrie américaine étaient présents à Cannes : des studios comme Universal, qui distribue Black Klansman, de Spike Lee (en compétition), et Un homme de parole, le documentaire que Wim Wenders a consacré au pape François ; Disney, qui dévoilera, hors compétition, Solo, nouvelle déclinaison de l’univers Star Wars ; et, parmi les étoiles montantes du secteur qui feront le voyage de Cannes, le producteur et distributeur A24 (Moonlight), qui présente Under the Silver Lake, de David Robert Mitchell.

Evoquant les films américains qui sortent à l’automne en vue de la campagne pour les Oscars, le délégué général a convenu que Cannes « n’est peut-être pas le lieu idéal » pour les montrer, « parce qu’il y a danger ». Il répondait à une question sur l’absence de The Brothers Sisters, le western auquel Jacques Audiard met la dernière main, qui a été cofinancé par un autre pilier du cinéma d’auteur américain, Annapurna Pictures, et n’a pas été soumis au comité de sélection du festival.