Ce qu’il faut retenir de l’interview d’Emmanuel Macron sur BFMTV, RMC et « Mediapart »
Ce qu’il faut retenir de l’interview d’Emmanuel Macron sur BFMTV, RMC et « Mediapart »
Syrie, colères sociales, loi asile-immigration… Le chef de l’Etat a répondu pendant près de trois heures aux questions de Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel.
Emmanuel Macron, le 15 avril 2018 sur BFMTV, RMC et « Mediapart ». / Jean-Claude Coutausse / Le Monde
Deux interviews en quatre jours, et deux émissions au ton radicalement différent. Après le journal télévisé de Jean-Pierre Pernaut sur TF1 jeudi, et à l’occasion du premier anniversaire de son arrivée à l’Elysée, Emmanuel Macron a répondu aux questions de Jean-Claude Bourdin et d’Edwy Plenel sur BFMTV, RMC et Mediapart, dimanche 15 avril, s’expliquant pendant deux heures sur de nombreux sujets.
Les échanges avec les journalistes ont été vifs et musclés, Emmanuel Macron qualifiant l’exercice « d’inédit ». « Vous êtes des intervieweurs et je suis le président de la République », a ainsi répondu le chef de l’Etat à Jean-Jacques Bourdin, qui a aussi critiqué les « insinuations » et les « amalgames » des journalistes.
Syrie, colères sociales, fiscalité… Voici les principaux points à retenir de l’interview du président.
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Frappes en Syrie : une opération « réussie » et « légitime »
A la différence du président américain Donald Trump et de la première ministre britannique Theresa May, Emmanuel Macron ne s’était pas exprimé à la télévision en direct au moment où il lançait à leurs côtés, dans la nuit du 13 au 14 avril, l’opération aérienne ciblant trois sites du programme d’armement chimique syrien. Il est revenu longuement sur cette opération dimanche, saluant d’abord une opération « réussie sur le plan militaire ». Les « capacités de production d’armes chimiques [du régime syrien] ont été détruites », a-t-il dit.
Emmanuel Macron a rappelé sans surprise le narratif déjà amplement développé par le ministère des affaires étrangères comme par la défense et l’Elysée pour justifier l’intervention au vu des preuves recueillies sur le terrain – sur lesquelles il ne s’est pas étendu – montrant la réalité de l’attaque chimique et l’implication du régime. L’intervention s’est faite « de façon légitime dans le cadre multilatéral. […] C’est la communauté internationale qui est intervenue », a-t-il ajouté.
Entre les lignes, Emmanuel Macron a répondu à Jean-Luc Mélenchon, leader de La France insoumise, et à une partie de la classe politique qui lui reproche de ne pas avoir consulté le Parlement avant de décider l’intervention en Syrie. Le président a répondu par le texte de la Constitution « votée par le peuple français », a-t-il souligné, qui prévoit que le chef de l’Etat est le chef des armées.
Lundi à 17 heures aura lieu à l’Assemblée nationale et au Sénat un débat sans vote sur les frappes françaises. La Constitution prévoit qu’en cas d’intervention militaire, le gouvernement a trois jours maximum pour informer le Parlement de son action.
Emmanuel Macron a surtout insisté sur le rôle central que peut et doit jouer la France pour transformer l’essai sur le plan diplomatique. « La finalité est de construire une solution inclusive et c’est un point de vraie convergence avec la Russie », a-t-il dit, soulignant aussi l’intense activité diplomatique française, notamment à l’ONU, pour relancer une possible solution politique à une guerre qui a déjà fait plus de 350 000 morts en sept ans.
SNCF, NDDL, étudiants… « Il n’y a pas de coagulation des mécontements »
« J’entends les colères », a dit le président français. Parmi ces colères, celle des cheminots, que le président a dit « comprendre ». Il a toutefois répété que la réforme de la SNCF irait « jusqu’à son terme », et confirmé que l’Etat reprendrait progressivement une partie de la dette de l’entreprise quand le groupe serait réformé, sans toutefois avancer de montant. « Oui, à partir du 1er janvier 2020, l’Etat reprendra progressivement de la dette » de SNCF Réseau, qui devrait alors atteindre une cinquantaine de milliards d’euros, a-t-il déclaré.
Emmanuel Macron juge en revanche « illégitime » la colère des opposants à l’évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes :
« Il y a une décision qui a été prise (…), vous me parlez d’une colère aujourd’hui mais la colère de qui ? De gens qui depuis des années bloquaient un endroit où on faisait construire un aéroport qu’on ne construit pas et qui aujourd’hui viennent continuer à protester ? »
A l’issue du nouveau délai de régularisation du 23 avril laissé par le gouvernement aux occupants illégaux, il a répété que « tout ce qui devra être évacué le sera ».
A propos du mouvement étudiant contre la loi pour l’Orientation et la réussite des étudiants (ORE), Emmanuel Macron a défendu les présidents d’université qui demandent l’intervention des forces de l’ordre. « Dans toutes les universités où il y a des amphi paralysés et des violences inadmissibles, les étudiants sont souvent minoritaires, a-t-il dit. Ce sont des groupes et “des professionnels du désordre”, pour citer Audiard. »
Surtout, Emmanuel Macron a estimé que les différents mouvements sociaux en cours ne correspondent « pas à une coagulation » des « mécontentements ». « Le mécontentement des cheminots a peu à voir avec le mal-être profondément légitime à l’hôpital qui dure depuis des années… », a précisé le chef de l’Etat.
« Mon objectif reste de réconcilier et d’unir le pays mais on ne l’unira pas par l’inaction, en cédant à la tyrannie de minorités qui se sont habituées à ce que l’on cède. »
Emmanuel Macron est interviewé par Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV, RMC et « Mediapart », le 15 avril 2018. | Jean-Claude Coutausse / Le Monde
Un cinquième risque de la Sécurité sociale
Concernant le domaine de la santé et ce mal-être à l’hôpital, Emmanuel Macron a admis des situations « insoutenables », notamment dans les services d’urgence, et indiqué qu’il n’y aurait « pas d’économies sur l’hôpital dans ce quinquennat ».
« L’hôpital est étranglé par un système devenu comptable qui s’appelle la tarification à l’activité. Nous avons augmenté le budget de la santé mais pas au rythme que certains voulaient », a-t-il jugé. Emmanuel Macron a promis pendant la campagne de plafonner à 50 % la tarification à l’activité (T2A) des hôpitaux, promesse rappelée par la ministre Agnès Buzyn lors de la présentation mi-février d’une réforme globale de l’hôpital. Le chef de l’Etat a par ailleurs dit qu’il annoncerait des décisions fin mai sur le sujet.
A propos des Etablissements d’accueil pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), Emmanuel Macron s’est engagé clairement, pour la première fois, à créer un cinquième risque de la Sécurité sociale consacré à la dépendance. La mesure, promise en 2007 par Nicolas Sarkozy mais jamais mise en œuvre, ne figurait pas dans son programme. Elle est prise sous la pression d’un mouvement de protestation des personnels des Ehpad, qui dénoncent depuis plusieurs mois des conditions de travail dégradées.
« Il faut investir et médicaliser » ces établissements, a affirmé Emmanuel Macron. S’il s’est engagé à « poser les bases » d’un « financement pérenne » de la perte d’autonomie, il n’a rien dit de précis sur la future réforme. Interrogé sur la possibilité de travailler un jour férié pour financer en partie la prise en charge du grand âge, il a simplement dit qu’il n’était « pas contre » et que c’était une piste « intéressante ». Il a également donné un calendrier : une élaboration au deuxième semestre 2018 pour une présentation début 2019.
Sur la fiscalité, pas d’impôt nouveau d’ici à 2022
Emmanuel Macron a de nouveau assumé « l’effort » demandé aux retraités, « pour pouvoir réussir à baisser les cotisations sociales salariales de tous les travailleurs pour que le travail paye mieux », tout comme sa réforme de l’impôt sur sa fortune.
« J’assume totalement les gestes fiscaux qui ont été faits sur l’ISF lorsque l’argent est réinvesti dans l’économie. […] Le but est [aussi] de garder les talents et de les attirer [en France]. Je veux qu’[en France,] on puisse travailler et être encouragé dans le travail. »
Emmanuel Macron a en revanche assuré que la fiscalité n’augmenterait pas en France durant son quinquennat : « Il n’y aura pas de création d’un nouvel impôt local, ni d’un impôt national, il n’y aura pas d’augmentation de la pression » fiscale d’ici à 2022, a-t-il assuré.
Sur la loi asile-immigration, des discussions « légitimes »
Evoquant les désaccords au sein de la majorité sur la loi asile-immigration, Emmanuel Macron déclare qu’il y a des « discussions légitimes » et un « débat démocratique » dans le groupe La République en marche. Les débats vont reprendre dans l’Hémicycle lundi soir sur ce projet de loi, qui gêne une partie de la majorité. Selon elle, le texte provoquera un recul des droits des aspirants à l’asile. Un long travail de conciliation a été mis en place dans le groupe majoritaire, mais une partie des députés ont cependant déposé par petits groupes des amendements pour contester le texte en commission.
Les députés LRM « sont libres, ils exprimeront leurs convictions », assure le chef de l’Etat. Le chef de la majorité Richard Ferrand a cependant prévenu que les députés qui voteraient contre le texte courraient le risque d’être exclus du groupe. « M. Ferrand il fait son rôle de chef de groupe et il le fait très bien », estime Emmanuel Macron, alors que le style de Richard Ferrand est fréquemment contesté par des parlementaires qui le jugent souvent sec et cassant.
Concernant le délit de solidarité, Emmanuel Macron a indiqué qu’il souhaitait qu’il soit « adapté » – mais pas supprimé. C’est également la volonté de la majorité, qui devait déposer un amendement au projet de loi asile immigration à ce sujet. « Il y a des personnes qui sauvent des vies, a déclaré le chef de l’Etat. Il faut qu’on adapte notre droit, que ce geste d’humanité ne soit pas condamné ». Les députés travaillent à une formulation qui permettrait notamment que l’accueil et l’aide à la circulation de personnes séjournant illégalement sur le territoire français ne soient plus condamnables.