Présentation de notre série Paludisme, la guerre d’usure
Présentation de notre série Paludisme, la guerre d’usure
Par Florence Rosier
Difficultés d’accès aux traitements, résistance des moustiques aux insecticides… Si la mortalité liée à la maladie a chuté de 60 % depuis 2000, la lutte semble marquer le pas.
Près de la moitié de la population mondiale est exposée au risque du paludisme. Cette maladie, déclenchée par un parasite transporté par un moustique, tue encore près d’un demi-million de personnes chaque année, dont un jeune enfant toutes les deux minutes.
Au-delà de ces chiffres glaçants, le défi est posé : parviendra-t-on à faire chuter d’au moins 40 % l’incidence de ce fléau d’ici à 2020 ? A deux ans de l’échéance, l’objectif paraît intenable. Il avait été fixé en mai 2015 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le projet Roll Back Malaria – partenaire de la série dans le cadre de laquelle cet article a été réalisé. A l’horizon 2030, l’ambition est plus grande encore : tendre vers l’éradication, en réduisant le risque d’exposition au paludisme d’au moins 90 % (par rapport au niveau de 2015).
Têtues, les dernières données mettent à mal cette aspiration. En 2016, le paludisme a touché 216 millions de personnes dans 91 pays : 5 millions de cas de plus qu’en 2015. Il a aussi provoqué 445 000 décès, un chiffre quasi identique à celui de l’année précédente. Tel était le constat dressé par l’OMS dans son rapport le plus récent, publié en novembre 2017, où l’organisation onusienne ne cachait pas son inquiétude. « Avec une telle dynamique, on imagine mal comment l’objectif pourra être atteint en 2030 », estime le docteur Marc Thellier, du Centre national de référence du paludisme, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris.
L’argent, comme toujours, est le nerf de la guerre. En 2016, 2,7 milliards de dollars (2,5 millions d’euros) ont été investis dans la lutte contre cette affection, dont les trois quarts en Afrique. La moitié de cette somme a transité par le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Les pays où la maladie est endémique ont investi 31 % de ce total. Mais ce financement est loin du niveau requis pour atteindre l’objectif de 2020 : il faudrait plus du double, estime l’OMS.
« Réservoir » du parasite
L’Afrique supporte « une part disproportionnée de cette charge », relève par ailleurs l’organisation. En 2016, 90 % des cas et 91 % des décès dus à cette maladie y sont survenus. Deux pays, le Nigeria et la République démocratique du Congo (RDC), concentrent 44 % des morts par paludisme recensées dans le monde.
Le continent fait face à des défis particuliers : difficultés économiques, conflits et déplacements de populations compliquent la lutte. Parmi les six espèces de parasite, Plasmodium falciparum, qui est responsable de 99,7 % des cas de paludisme en Afrique, est la plus meurtrière. Originaire du continent, ce parasite y montre la plus grande diversité génétique. Parmi les 30 espèces de moustiques – des anophèles – qui piquent au crépuscule ou durant la nuit, les plus efficaces sévissent en Afrique. Autre handicap : le nombre de sujets infectés sans symptômes, qui constituent le « réservoir » du parasite, y est bien plus important. « Toutes ces conditions rendent l’élimination bien plus difficile sur le continent », souligne Marc Thellier.
Des progrès notables ont pourtant été enregistrés. Ils sont le fruit d’un premier Plan de lutte contre le paludisme (2000-2015), qui a permis de réduire de 37 % le taux de nouveaux cas dans le monde et de faire chuter de 62 % la mortalité, sauvant la vie de 6,2 millions de personnes en quinze ans, selon l’OMS. Ces succès sont essentiellement liés à trois armes : la moustiquaire imprégnée d’insecticide, la pulvérisation d’insecticide dans les foyers, les traitements combinés à base de dérivé d’artémisinine quand le mal est fait.
« Besoin de nouveaux outils »
Mais ils sont menacés. Depuis huit ans, le parasite a développé des résistances aux traitements dans les pays du Mékong (Cambodge, Thaïlande, Laos, Vietnam) et le moustique, lui, aux insecticides. « C’est un problème inquiétant. L’histoire des précédents médicaments contre le paludisme, comme la chloroquine, montre que ces résistances peuvent se répandre en Afrique depuis le Sud-Est asiatique. Nous avons besoin de nouveaux outils », alerte Tomas Jensen, conseiller pour la médecine tropicale chez Médecins sans frontières (MSF).
Autre limite : l’accès aux tests de diagnostic rapide, aux traitements et aux outils de prévention est loin d’être optimal. Dans le monde, 30 % des cas de paludisme ne sont pas traités avec une combinaison à base de dérivé d’artémisinine. Et plus de 70 % des enfants atteints en sont privés, soit 68 à 80 millions de bambins. Par ailleurs, en Afrique subsaharienne, 45 % des personnes vivant dans des régions à risque ne dorment pas sous une moustiquaire imprégnée. « L’accès à ces outils de lutte est dramatiquement faible dans les zones de conflit ou parmi les populations déplacées », déplore Tomas Jensen.
Des motifs d’espoir existent heureusement. En Afrique, le succès repose sur des initiatives pionnières, comme celle développée par le professeur Ogobara Doumbo. Ce médecin et chercheur malien a créé à Bamako, en 1992, le Malaria Research and Training Center (MRTC), un centre devenu modèle. Ses forces : une présence continue sur le terrain et une aptitude à répondre aux besoins quotidiens des villageois.
Plusieurs idées innovantes sont ainsi nées des recherches de terrain menées par des équipes du continent, comme le traitement préventif intermittent (TPI) chez le jeune enfant. Dans plusieurs pays du Sahel, 60 % à 80 % de la mortalité et de la morbidité (c’est-à-dire la part des individus malades dans la population considérée) du paludisme se concentrent sur trois à quatre mois, durant la saison des pluies. En administrant préventivement des médicaments aux enfants pendant cette période à risque, l’idée est donc d’éviter qu’ils ne contractent la maladie.
En 2002, l’Institut de recherche pour le développement (IRD) a instauré le TPI au Sénégal pour les moins de 5 ans. « Depuis 2002, [ceux-ci] sont l’une des principales cibles des programmes de lutte », raconte Cheikh Sokhna, de l’IRD à Dakar et à Marseille. Au Mali, le MRTC a suivi cette voie en 2003. Avec des « résultats extraordinaires : une baisse de 60 % à 70 % de la morbidité », se félicite Ogobara Doumbo. Une stratégie validée par l’OMS en 2012.
« Le paludisme est une maladie que l’on peut prévenir. Dans le Sahel et la région subsahélienne, la chimioprévention du paludisme saisonnier peut faire une réelle différence », estime Philippe Duneton, directeur exécutif adjoint d’Unitaid, organisme onusien chargé de centraliser l’achat et la distribution de médicaments contre les pandémies.
Médicament tueur de moustiques
Et le Graal que constituerait un vaccin ? Les tentatives menées à terme sont pour l’instant peu convaincantes : « On n’a jamais réussi à développer un vaccin contre une maladie parasitaire », se désole Marc Thellier. La faute au cycle de développement complexe des parasites, à leurs mécanismes de contournement des défenses immunitaires, à la variabilité génétique élevée de Plasmodium falciparum.
La lutte doit passer par l’élaboration de nouveaux insecticides, dont plusieurs molécules sont en développement, et par la mise au point de systèmes de piégeage des anophèles grâce à la libération de phéromones ou de dioxyde d’azote. Une autre piste provient du Sénégal, où l’on a découvert qu’un médicament courant et bon marché, l’ivermectine, a la propriété d’interrompre la transmission de Plasmodium falciparum en tuant les moustiques porteurs. L’avenir dira si un traitement de masse des populations par cette molécule est réalisable, efficace et sans risques.
Une certitude : sur le terrain, la sensibilisation des populations et l’action des agents communautaires sont des leviers déterminants pour promouvoir la stratégie du test, treat and track, « tester, traiter et tracer les effets ». Cette dernière « fait des merveilles dans les villages africains », note le professeur Doumbo, qui reste optimiste : « Si nous parvenons à la déployer, nous pourrons véritablement diminuer de 80 % les complications et de 50 % la mortalité chez les jeunes enfants. Avec les outils dont nous disposons, éliminer le paludisme vers 2030 reste à notre portée. » A condition de coordonner les efforts, de combiner les stratégies et de renforcer les moyens.
Le Monde Afrique propose une série de dix articles, reportages et entretiens pour raconter la guerre d’usure engagée par le Nord et le Sud pour venir un jour à bout du paludisme.
Cet article fait partie d’une série réalisée dans le cadre d’un partenariat avec Roll Back Malaria (RBM) .