Au Togo, la crise politique revient dans la rue
Au Togo, la crise politique revient dans la rue
Par Chams Iaz
Alors que le « dialogue national » entre le pouvoir et l’opposition est à l’arrêt, les manifestations ont repris. Tout comme la répression.
Alors qu’au Togo les manifestations s’étaient interrompues depuis l’ouverture, le 19 février, d’un « dialogue national », l’opposition avait appelé ses militants à descendre dans les rues les mercredi 11, jeudi 12 et samedi 14 avril. Si le premier jour a donné lieu à des manifestations d’ampleur dans plusieurs villes du pays, la répression qui s’en est suivie semble avoir découragé certaines velléités protestataires. Rares étaient ceux, les jours suivants, à braver l’interdiction gouvernementale de manifester et à défier les coups et les gaz lacrymogènes des forces de l’ordre.
Au Togo, une manifestation non autorisée fait plusieurs blessés
Durée : 01:25
Si la protestation de jeudi n’a finalement pas eu lieu, celle de samedi était en revanche très attendue dans la capitale togolaise. Elle avait valeur de démonstration puisque son organisation coïncidait avec la tenue à Lomé d’un sommet extraordinaire de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. A cette occasion, les chefs d’Etat de la région n’ont pas été en mesure de relancer les discussions entre les rivaux politiques togolais, leur communiqué se limitant à appeler les deux facilitateurs, le président ghanéen Nana Addo Akufo-Addo et son homologue guinéen Alpha Condé, à « intensifier leurs efforts pour aider le gouvernement et les acteurs politiques togolais dans la réalisation des réformes constitutionnelles, dans le respect des délais légaux, des normes et principes de la démocratie et de l’Etat de droit ».
Dialogue au point mort
Dans un contexte où le dialogue est au point mort depuis le 23 mars - officiellement afin de permettre aux deux camps d’« étudier les propositions faites par chaque partie » - l’opposition maintient son refus de voir le chef de l’Etat, Faure Gnassingbé, se représenter en 2020, et, comme l’explique Jean-Pierre Fabre, le président de l’Alliance nationale pour le changement (ANC), demande « un retour à la Constitution de 1992, abrogée par le père du président, qui stipule que nul ne peut cumuler plus de deux mandats ». A cette exigence, un proche du chef de l’Etat répond, lapidaire qu’avec la Constitution actuelle, « Faure Gnassingbé [au pouvoir depuis 2005] peut être candidat ad vitam aeternam ».
Entre les deux plus éminents adversaires de la vie politique togolaise, les motifs de tension s’accumulent. « Le mercredi, il y a eu une résistance farouche dans la ville de Lomé », se félicite le chef de file de l’opposition. Le bilan était de 25 blessés et 41 personnes interpellées, selon le ministère de la sécurité. « Les forces de l’ordre jouent leur rôle pour empêcher que des manifestations interdites aient lieu pendant le dialogue, justifie une source proche du gouvernement. Le simple fait de braver cette interdiction est déjà une raison suffisante pour être interpellé. Si en plus on se rend coupable de voie de fait avec de la casse ou des jets de pierre, alors l’addition est plus salée. »
« Tentative d’assassinat »
Elle aurait pu l’être bien davantage. Lors de cette même journée de mercredi, Jean-Pierre Fabre dit avoir été victime d’une « tentative d’assassinat » alors qu’il circulait en convoi à Adidogomé, l’un des points de rassemblement. « Dès qu’ils m’ont identifié, ils m’ont pris en sandwich. L’un d’entre eux a essayé de me tirer dessus et a cassé une vitre avec la crosse de son arme. Mon chauffeur a pu démarrer et ils ont tiré sur le véhicule. Après une course-poursuite, nous avons réussi à les semer, je ne sais même pas comment », raconte-t-il au Monde Afrique.
Plus que terrorisé, Jean-Pierre Fabre se dit galvanisé par l’événement : « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort. Je ne me laisse pas intimider par des actes de voyous. Je me dis que j’ai raison de les combattre parce qu’ils ne sont pas dignes de conduire un pays. »
Pour Jean-Pierre Fabre, l’élément déclencheur de cette semaine de colère est « l’attitude du pouvoir en place, qui malgré les engagements pris, continue de prôner l’organisation d’une élection de manière unilatérale. » Du côté du pouvoir, la réplique est sèche et comminatoire : « Le dialogue n’est pas encore terminé, résume un proche du président, à moins que l’opposition ne nous le dise, et dans ce cas-là on avisera. »