Projet de loi asile et immigration : des associations manifestent et dénoncent un « projet de recul »
Projet de loi asile et immigration : des associations manifestent et dénoncent un « projet de recul »
Par Laura Hubert
Alors que les débats sur la loi asile et immigration débutent lundi à l’Assemblée nationale, associations, politiques et citoyens ont manifesté pour le retrait de la loi.
Laura Hubert / Le Monde
Un bus gris métallisé aux vitres teintées place du Châtelet à Paris. Bus de touristes ?… Pas vraiment. Des militants de la Cimade, association de soutien aux migrants d’environ deux mille cinq cents bénévoles et composée de quatre-vingt-dix groupes locaux, jouent une opération « coup de poing », tenue secrète jusque-là. Le plan d’attaque a été minutieusement préparé pour marquer leur opposition à la loi asile et immigration, jugée trop coercitive et encline aux expulsions, portée par le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb. Seule une poignée de médias, dont Le Monde, en avait été prévenue.
« L’excursion » démarre à 10 h 15. Premier arrêt à l’Assemblée nationale. Les militants doivent agir vite. Descendus du bus, ils brandissent fièrement leurs pancartes. Une flèche « virage à droite », une limitation à « 90 jours en rétention », « chute de droits » au lieu de « chute de pierres ». Une quinzaine de panneaux de signalisation du code de la route ont été détournés pour constituer « le code de la honte ». Plantés devant les portes de la Chambre des députés, les militants, déterminés et vêtus de noir, scandent en continu : « Non, non, non, au projet Macron ! Non, non, non, à la loi Collomb ! Code de la honte, la colère qui monte ! »
« Retrait de la loi »
Les gendarmes s’affairent rapidement à les faire partir. Les militants de la Cimade filent devant le siège du parti La République en marche (LRM). La Cimade a décidé de remettre ce « code de la honte » aux élus de la majorité, dans quarante villes simultanément, en réponse à la « dégradation » du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda). Geneviève Jacques, présidente de l’organisation, explique :
« Cette action symbolique s’inscrit dans la continuité de nos revendications. Nous voulons le retrait de la loi asile et immigration, qui n’est en rien une réponse aux enjeux réels d’accueil dans notre pays. L’ensemble de ce projet représente tellement de reculs, malgré quelques mesures positives. Nous demandons à ce qu’il ne soit pas voté, et réclamons un vrai débat de fond. »
Les militants se postent dans la cour intérieure du siège du parti. Les slogans résonnent fortement, ce qui ne manque pas d’agacer une entreprise installée à cette adresse, qui balance des seaux d’eau sur les militants.
Laura Hubert / Le Monde
Perte de « l’identité humaniste »
La journée se poursuit à proximité de l’Assemblée nationale, où quatorze organisations manifestent, de 12 h 30 à 14 heures. Un orchestre de Nuit debout, composé d’instruments à vent et de tambours, accompagne Abad Boumsong, slameur camerounais. Arrivé en France à l’âge de 15 ans, aujourd’hui la quarantaine, il milite au travers de l’écriture musicale : « Au fil des années, la France donne l’image d’un pays qui se referme sur lui-même, alors qu’au quotidien, on retrouve une vraie solidarité entre les gens. Par la loi asile et immigration, la France perd de son identité humaniste », déplore le musicien.
Aux associations de soutien aux migrants se mêlent des élus du groupe écologiste (EELV) et de La France insoumise (LFI). Eric Coquerel, député (LFI) de la Seine-Saint-Denis, s’adresse aux associations et aux citoyens de la manifestation :
« Nous parlons ici de personnes qui traversent la Méditerranée, les cols alpins en plein hiver. Et tant que nous n’aurons pas réglé les causes de ces migrations, que nous, la France, avons d’ailleurs provoquées, on doit en assumer les conséquences ! »
Des avocats en robe apportent un cercueil en carton sur lequel est inscrit « Convention et protocole relatifs au statut des réfugiés ». Agathe Stinat, avocate au barreau des Hauts-de-Seine, n’accepte pas la réduction d’un mois à quinze jours du délai de recours à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). « La réduction de ce délai pénalise d’autant plus les immigrés. La plupart ne parlent pas français, il leur faut un interprète. Sous le prétexte fallacieux de faire des économies, on va nous demander de faire de l’abattage, par un recours sommaire. »
Laura Hubert / Le Monde
« On résiste malgré tout »
Ils réfutent également l’extension des audiences en vidéo pour le juge des libertés et le tribunal administratif : « Vous voyez un immigré parler, en étant filmé, de la fois où il a été battu, violé ? Nous mettons souvent quatre ou cinq séances avant d’apprendre les traumatismes qu’ils ont vécus. »
Ibrahim, Soudanais de 28 ans, a dû quitter son pays. Cela fait deux ans qu’il est en France, sans logement, hébergé par une amie. Il a préparé un poème pour l’assemblée : « Je garde le sourire, malgré tout. Malgré ce que j’ai traversé, malgré le froid, la pluie, le gazage de flics. Malgré tout, je suis fier d’être ici. […] On résiste malgré tout… ! Je vous aime ! » Bénévole de l’association Utopia 56 à Paris depuis cinq mois, il assiste régulièrement à la destruction des tentes par des CRS dans le nord de Paris.
Sarah Belaisch, bénévole à la Cimade, s’insurge : « Le texte de loi est essentiellement construit sur la sanction. C’est scandaleux qu’un citoyen soit condamné et non félicité pour avoir sauvé un migrant qui entre sur le territoire de manière illégale. »