TV – « Speakerine » : une femme en mal d’émancipation
TV – « Speakerine » : une femme en mal d’émancipation
Par Martine Delahaye
Notre choix du soir. Ambitieuse et soignée dans sa mise en scène, cette série dessine la chronique des années pré-Mai 68 (sur France 2 à 20 h 55).
France 2 / Speakerine - actuellement en tournage
Durée : 01:27
Speakerine et vedette du petit écran – une seule chaîne, en noir et blanc, diffuse quelque trois heures de programmes quotidiens –, Christine Beauval fait la couverture du magazine Jours de France, en ce mois de juillet 1962. Mais à 42 ans, tout en aimant son métier, elle souhaite « faire autre chose que la plante verte », jouer un rôle autre que celui de « l’idiote de service », de « la potiche publique », pour reprendre ses termes. Depuis des mois, elle attend que le vieux crocodile à la tête de la Radiodiffusion télévision française (RTF) lui accorde le droit de monter son émission de télévision,« Portraits de femmes ».
Son mari, qui, pour sa part, dirige l’information à la RTF, n’est pas plus favorable que cela au nouveau projet professionnel de sa femme. D’autant que son passé d’ancien combattant pour la France libre le promet à de plus hautes fonctions encore, dans l’audiovisuel public ou au gouvernement, un jour ou l’autre, en tout cas dès que le général de Gaulle en décidera ainsi. Ce qui devrait amplement suffire à sa femme.
Leurs deux enfants, bien qu’encore mineurs, se montrent eux aussi tentés de prendre leur envol. Colette, lycéenne, amoureuse d’un ami de la famille de quinze ans son aîné, rêve d’une vie de couple. Son frère, Jean-Claude, étouffant dans le cocon familial et en butte à son gaulliste de père, cherche à comprendre les circonstances de la mort de ses deux amis, torturés et assassinés en Algérie – alors que sa mère a tout fait pour qu’il n’y parte pas.
Christine Beauval (Marie Gillain) et son mari, PIerre Beauval (Guillaume de Tonquédec). / PHILIPPE LE ROUX/FRANCE 2/FTV/MACONDO
S’enracinant dans la France du début des années 1960, autoritaire, corsetée, figée dans un machisme ordinaire, Speakerine bouillonne d’envies de faire sauter les carcans. De désirs d’émancipation. A commencer par ceux de Christine Beauval, qui, sans être animée d’une ambition démesurée, ni prête à oublier son rôle bien codifié d’épouse et de mère, ne consent plus à sacrifier sa carrière au profit de celle de son mari.
Fond politique
Il en va de même pour une nouvelle génération de journalistes, révoltés par la mainmise de l’Etat sur l’information télévisée – sans qu’ils soient pour autant « communistes », comme le pouvoir les qualifie. Cela vaut pour la police judiciaire, certains s’y indignant (en silence et en secret) que leurs enquêtes puissent être téléguidées ou brusquement interrompues par le ministère de l’intérieur, au gré des intérêts de la classe dirigeante. Rares sont les séries françaises dont le fond politique est aussi présent, sans être pesant.
Il y a fort à parier, pour autant, que Speakerine n’attirera guère que le public qui a lui-même connu l’air du temps révolu de ce début des années 1960. Au moins pour la reconstitution de cette époque, une mise en scène soignée – avec des voitures astiquées à souhait, des intérieurs sombres et une grande attention apportée aux coiffures, costumes et accessoires. Ce même public risque malgré tout de ne pas se passionner pour la trame dramatique, parfois empesée et alambiquée, tissée au détriment de la caractérisation des personnages. Il n’en reste pas moins que cette série a presque valeur de témoignage de ce qui allait être mis en cause par le mouvement de Mai 68.
Speakerine, série créée par Nicole Jamet, Véronique Lecharpy, Sylvain Saada, Valentine Milville et José Caltagirone. Avec Marie Gillain, Guillaume de Tonquédec, Christiane Millet (Fr., 2018, 6 × 52 min).