La France, terre de voltige
La France, terre de voltige
Par Catherine Pacary
La Red Bull Air Race s’invite pour la première fois en France, berceau de la voltige aérienne. Un siècle après, les voltigeurs tricolores dominent cette discipline spectaculaire.
The Red Bull Air Race is coming to France!
Durée : 00:53
Comme la tarte Tatin, la voltige aérienne est née en France d’une erreur. Red Bull ne le sait pas : c’est pour la beauté de sa Côte d’Azur et son impact international que le limonadier autrichien a choisi d’organiser au-dessus de la baie de Cannes une étape de la Red Bull Air Race, impressionnante course de slalom aéronautique, les 21 et 22 avril. Une première en dix ans que l’organisation justifie par la présence cette saison de cinq Français parmi les 24 concurrents. Car oui, cette discipline est une excellence nationale méconnue, fruit d’une histoire et d’une législation uniques.
Dix-neuf août 1913. Dans le ciel francilien, un homme, Célestin Adolphe Pégoud (1889-1915), réussit l’un des premiers sauts en parachute. Il oublie juste de couper le moteur de l’avion qui l’a élevé à 250 mètres de hauteur, et l’appareil tournoie, descend en piquet avant de remonter sur l’aile, puis finalement s’écraser. « Mon coucou fait le guignol », annote Célestin Adolphe Pégoud sur son carnet, qui vient d’inventer sans le savoir la voltige aérienne. Dès le 1erseptembre, il réussit, volontairement cette fois, le premier looping de l’histoire à bord d’un Blériot-XI. Mobilisé un an plus tard, l’inventeur de la voltige aérienne meurt le 31 août 1915 sous les balles allemandes.
Célestin Adolphe Pégoud réalise le 1er septembre 1913 à Viry-Châtillon (sud de Paris) le premier vol "tête en bas". Il réitère le lendemain. / FFA
Riche de ce passé, l’Etat français a favorisé après-guerre l’implantation d’aérodromes en leur donnant une structure associative unique, garante de tarifs accessibles.
Aujourd’hui, 600 aérodromes – soit un terrain d’aviation tous les 50 kilomètres – perpétuent cet héritage et accueillent 42 000 licenciés à la Fédération française d’aéronautique (FFA). Ils représentent la moitié du contingent de pilotes européens et placent la France au 2e rang mondial derrière les Etats-Unis. En autorisant l’implantation de 200 aires réservées à la voltige, quand la Suisse, la Belgique ou le Luxembourg par exemple n’en ont qu’une, la France continue de défendre ce patrimoine.
A ces structures s’ajoute une industrie aéronautique performante qui, pour se cantonner à la voltige, a produit le CAP 10, l’avion qui permet aux élèves voltigeurs de voler à moindre coût depuis les années 1970. A la différence de l’Allemagne ou du Royaume-Uni, « où l’avion-école appartient à une entreprise commerciale qui doit rentabiliser les cours », précise Philippe Prinet, responsable pédagogique au club de voltige de Cannes-Mandelieu.
« La voltige aérienne s’est développée pendant la guerre froide, pour valoriser la dextérité plutôt que la puissance de feu », rappelle Loïc Logeais, directeur technique national de la FFA. Les meilleurs sont alors les Russes et les Américains. Mais depuis la fin des années 1990, « la voltige aérienne mondiale est aux mains des Français. Cela fait vingt-cinq ans que cela dure », enchaîne Philippe Prinet.
Formation des écoles de l’armée de l’air
Ainsi, lors des 28es championnats du monde de voltige aérienne à Châteauroux, en 2015, les Français ont remporté les trois titres en jeu. Et le public était au rendez-vous. « Plus de 50 000 spectateurs en une semaine et 60 000 en clôture », se souvient Loïc Logeais. Une réussite telle que la France organisera à nouveau les Mondiaux de 2019, peut-être encore à Châteauroux.
« Il est plus facile de pratiquer la voltige aérienne en France, confirme Mika Brageot, voltigueur de 30 ans engagé sur la Red Bull Air Race. La France est riche de son histoire aéronautique. Cela lui donne une structure d’entraînement exceptionnelle. De plus, elle offre la possibilité de se lancer jeune, dès 13 ans avec le brevet d’initiation aéronautique, reconnu par l’Education nationale, et de bénéficier de bourses. »
« Pour entraîner quelques équipes étrangères, anglaises, allemandes, australiennes, je peux [témoigner que] nous sommes encore largement en avance, notamment en voltige », estime également François Le Vot. Le champion du monde en individuel et par équipe insiste sur « les formations extrêmement solides fournies par les écoles de l’armée de l’air », dont il a fait partie durant vingt-quatre ans.
Le climat venteux est aussi « idéal pour apprendre », loue Baptiste Vignes, formé sur les côtes normandes au Havre. Mélanie Astles, seule femme engagée sur le Red Bull Air Race, nuance : « J’aimerais vous dire qu’il est plus facile de pratiquer la voltige en France qu’ailleurs, mais le meilleur endroit me semble être les Etats-Unis. »
Là-bas, l’espace infini est un atout. En France, les riverains se plaignent des nuisances sonores et plusieurs aéroclubs, comme Cuers (Var) ou Eyguières (Bouches-du-Rhône), sont menacés. A Cannes, Philippe Prinet aimerait à l’inverse ouvrir trois axes de voltige supplémentaires. Un succès populaire de la Red Bull Air Race pourrait l’y aider.