Election en Polynésie : Gaston Flosse en embuscade
Election en Polynésie : Gaston Flosse en embuscade
Par Mike Leyral (Papeete, Polynésie française, correspondance)
Inéligible jusqu’en 2019, l’ancien patron du territoire a mis à la tête de sa liste son lieutenant, qui lui cédera la place ensuite en cas de victoire.
Gaston Flosse, à Papeete, en février 2016. / GREGORY BOISSY / AFP
Les électeurs de la Polynésie française doivent se rendre aux urnes, dimanche 22 avril, pour le premier tour des élections territoriales. Les Polynésiens vont élire leurs 57 représentants à l’Assemblée du territoire. La liste arrivée en tête bénéficiera d’une forte prime majoritaire pour éviter l’instabilité qui a perturbé la collectivité entre 2004 et 2012. C’est en son sein que sera élu le futur président du gouvernement.
Sept listes sont en présence, dont se détachent trois favorites. Celles du président sortant, Edouard Fritch, et des deux immuables adversaires des quatre dernières décennies : l’indépendantiste Oscar Temaru et l’impérissable Gaston Flosse qui, à défaut de pouvoir se présenter, a placé en tête de liste son premier lieutenant, Geffry Salmon.
L’ancien président de la Polynésie française, qui a dirigé le territoire pendant quinze ans – toutes périodes cumulées, entre 1984 et 2014 – est inéligible jusqu’en juillet 2019. Il aura alors 88 ans et compte bien retrouver le pouvoir. Si M. Salmon regagnait la présidence, il quitterait son siège quatorze mois plus tard pour laisser la place au « Vieux Lion ». Malgré ses multiples condamnations, M. Flosse reste populaire. Lors de la campagne, il a proposé douze mesures, essentiellement à destination des plus modestes, comme la cantine scolaire gratuite, de fortes baisses des abonnements Internet ou des transports en commun. Il promet aussi de maintenir l’âge de la retraite à 60 ans, alors que l’actuel gouvernement compte le porter à 62 ans pour résorber le déficit de la caisse de retraites.
« Plan d’urgence social »
M. Fritch, ex-gendre et longtemps ministre puis vice-président de M. Flosse, part néanmoins favori. Réélu en 2013, M. Flosse a perdu l’ensemble de ses mandats locaux en septembre 2014 après avoir été condamné dans une affaire d’emplois fictifs. Adoubé par son mentor en politique, M. Fritch lui a succédé mais les deux hommes n’ont pas tardé à se brouiller. Le président en exercice a créé son propre parti, le Tapura Huiraatira, et entraîné avec lui de nombreux cadres du Tahoeraa Huiraatira, la formation fondée en 1977 par M. Flosse. Aujourd’hui, le Tapura contrôle le gouvernement local, la majorité à l’Assemblée de la Polynésie française et la plupart des mairies.
Pour M. Fritch, la Polynésie est « sur la voie du redressement » après plus d’une décennie de crise économique. Il propose des mesures moins spectaculaires, centrées sur les forces économiques polynésiennes que sont le tourisme et l’économie bleue, mais prévoit aussi un « plan d’urgence social » pour les plus fragiles.
Sur le plan idéologique, les formations de MM. Fritch et Flosse sont proches : toutes deux sont autonomistes et souhaitent le maintien de la Polynésie au sein de la République française, au contraire de leur adversaire indépendantiste Oscar Temaru, dont le parti, le Tavini Huiraatira, pourrait profiter de leurs dissensions. Comme cela s’est passé aux législatives de juin 2017, qui ont permis au Tavini de gagner un des trois sièges du territoire. Moetai Brotherson, gendre de M. Temaru, est ainsi devenu le premier député indépendantiste de Polynésie française.
Chance infime
Si le Tavini remportait les élections territoriales, M. Temaru évoque la possibilité de laisser la présidence à son cadet. « C’est pour laisser la place aux jeunes et, être de nouveau président dans le statut actuel, il en a vu les limites. Ce qui l’intéresse, c’est le processus de décolonisation », confie M. Brotherson au Monde.
Ce processus a été engagé en 2013 avec la réinscription de la Polynésie française sur la liste onusienne des territoires non autonomes à décoloniser. A terme, M. Temaru souhaite un référendum pour que les Polynésiens puissent s’exprimer sur leur avenir statutaire, comme en Nouvelle-Calédonie. Son parti demande aussi à l’Etat de payer les conséquences sanitaires des essais nucléaires et d’indemniser les familles des vétérans du Centre d’expérimentation du Pacifique décédés de maladies radio-induites.
Trois autres candidats vont tenter de perturber cette lutte entre les principales listes. Le président de l’Assemblée locale, Marcel Tuihani, ancien proche de M. Flosse, s’essaie à une carrière en solo. Tout comme Tauhiti Nena, longtemps allié de M. Temaru. Jérôme Gasior, enfin, est le candidat de l’UPR. Tous trois ont une chance infime d’atteindre les 12,5 % qui leur permettraient de se qualifier pour le second tour, le 6 mai.
Le troisième tour se jouera à l’Assemblée. En 2008, M. Flosse avait été largement battu dans les urnes par M. Temaru et une coalition autonomiste qui avait manqué de peu la majorité absolue. « Metua » (le « père » en tahitien), un autre de ses surnoms, s’était alors allié à son adversaire de toujours, et l’Assemblée l’avait élu président. Un scénario qui n’est jamais à exclure.