L’Assemblée nationale adopte le texte asile-immigration en première lecture
L’Assemblée nationale adopte le texte asile-immigration en première lecture
Par Manon Rescan
Défendu par le ministre de l’intérieur, il prévoit de réduire les délais pour les demandes d’asile et d’améliorer les reconduites à la frontière pour ceux qui en sont déboutés.
Après des dizaines d’heures de débats répartis sur sept jours, les députés ont adopté en première lecture le projet de loi asile-immigration, dimanche 22 avril. Du jamais vu, hors période budgétaire, depuis la loi Macron de 2014 ou l’homérique bataille du « mariage pour tous », il y a cinq ans jour pour jour.
Le texte, défendu par le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, entend principalement réduire les délais de traitement des demandes d’asile et améliorer les reconduites à la frontière pour ceux qui en sont déboutés. Toute la semaine, les discussions ont surtout donné lieu à un affrontement entre deux visions de l’immigration et de l’accueil en France, dans une ambiance souvent tendue et polémique.
Une droite au diapason de l’extrême-droite
Dans ce débat il y a d’abord eu l’écume : une constante bataille contre le temps. Pour l’opposition, il s’agissait de jouer la montre, afin d’être sûrs que leur voix porte dans les discussions, mais aussi pour contester un agenda législatif qu’ils n’estimaient pas adapté à l’importance du texte. A ce jeu, Les Républicains n’ont pas voulu céder une milliseconde de temps de parole, revenant continuellement à la charge sur une liste de questions auxquelles ils considéraient que le ministre de l’intérieur ne leur avait pas répondu.
C’est ainsi que la droite a pris l’ascendant sur ces débats, défendant le fait que la France puisse « choisir qui elle accueille sur son territoire » comme l’a déclaré le député LR des Alpes-Maritimes Eric Ciotti en ouverture des débats. « Nous souhaitons que chaque année, le Parlement fixe, en fonction de l’intérêt national, des plafonds d’accueil d’étrangers par catégorie de motif de séjour » a-t-il plaidé.
Les députés Les Républicains, au diapason de ceux d’extrême droite, n’ont eu de cesse de dénoncer un système d’asile dont ils jugent qu’il est détourné de son objet principal. « Etes-vous capables de reconnaître que certaines personnes essaient de dévoyer les procédures pour transformer une immigration économique en droit d’asile ? » a ainsi lancé le député LR Fabien di Filippo (Moselle).
« Vous organisez l’immigration » a encore dénoncé Marine Le Pen face aux propositions du gouvernement et de la majorité sur l’hébergement des aspirants à l’asile. Selon la patronne du Front national, cette proposition aurait pour but de « permettre aux clandestins de bénéficier de l’hébergement que vous refusez à nos propres compatriotes les plus modestes, qui n’ont pas accès au logement et se retrouvent dans la rue. ».
La gauche contre des mesures jugées « déshumanisantes »
Face à la surenchère des droites, la majorité – qui est divisée sur ce texte – s’est trouvée unie avec la gauche pour lutter contre ce qu’ils jugent être un discours de « fantasmes » qui « alimente les peurs ». « Les confusions et les amalgames vont bon train » a ainsi lancé la députée LRM Coralie Dubost (Hérault), dénonçant « la confusion entre demandeurs d’asile, réfugiés et prétendus terroristes ».
Ces longs échanges sur les trois premiers articles du texte ont failli escamoter le cœur, plus contesté, du projet de loi et l’ouverture de deux journées de débats supplémentaire a été nécessaire. A partir de jeudi ce fut au tour de la gauche de batailler contre des dispositions dont elle estime, comme de nombreuses associations ou encore le Défenseur des droits, qu’elles réduisent les possibilités pour les demandeurs d’asile de faire valoir leurs droits. Les députés insoumis, communistes et socialistes n’ont eu de cesse de combattre des mesures jugées « déshumanisantes » tel l’allongement de la durée maximale de séjour en centre de rétention, le recours facilité à la vidéo-audience à différents points de la procédure et la réduction du délai pour faire appel après le rejet d’une demande d’asile.
Des arguments également sensibles dans la majorité. « Je crains que la dissuasion soit au premier plan » de ce texte, s’est ainsi inquiété le député MoDem Brahim Hammouche (Moselle), contestant la réduction de quatre à trois mois le délai au-delà duquel une demande d’asile est examinée en procédure accélérée.
Le gouvernement entre deux pôles d’opposition
Samedi, l’opposition de gauche a très vivement contesté le refus du gouvernement d’interdire le placement de mineurs en rétention, une « solution barbare » selon Jean-Luc Mélenchon. Des députés LRM défendaient également cette interdiction et, s’ils n’ont pas réussi à faire plier le ministre, ils ont obtenu la création d’un groupe de travail en vue du dépôt d’une proposition de loi à ce sujet d’ici à la fin de l’année.
Autre mesure très contestée, l’allongement de la durée maximale de séjour en centre de rétention de 45 à 90 jours a également été adopté, conformément au vœu formulé par Matignon dès le mois de septembre, malgré l’opposition unanime de la gauche et de neuf députés LRM.
Au milieu d’un tir nourris de critiques venant de droite et de gauche, la majorité et le gouvernement ont tenu à se poser en garant d’un « équilibre » entre ces deux pôles d’opposition. Face aux députés socialistes et insoumis, Gérard Collomb a utilisé l’argument de l’opinion publique, généralement brandi par la droite. « Imaginez que cet amendement soit adopté et que vos propositions soient mises en œuvre dans votre territoire… Je ne pense pas qu’elles recueillent l’assentiment d’une majorité de nos concitoyens » a-t-il ainsi répondu au député socialiste Régis Juanico (Loire) qui proposait d’élargir les motifs de régularisation pour des personnes sans-papiers.
Critiqué pour avoir évoqué des régions « submergées » par la crise migratoire, le ministre de l’intérieur s’est bien gardé de reprendre un vocabulaire abondamment utilisé par l’extrême droite pendant ces débats. Mais les députés socialistes ont poursuivi leurs attaques sur son supposé penchant à droite, en tenant pour preuve le fait que les députés du Front national ont voté pour l’un des articles du projet de loi.
Pas de « vote solennel »
A sa majorité qui penche à gauche, Gérard Collomb a envoyé quelques signaux d’ouverture. Ils ont ainsi obtenu en commission que le délai maximal de rétention ne puisse pas excéder 90 jours, quand le gouvernement proposait d’aller jusqu’à 135. Dans l’hémicycle, ils ont adopté un aménagement du délit de solidarité, avec un amendement prévoyant des « exemptions » à ce délit, mais aussi la possibilité pour les demandeurs d’asile de travailler dès six mois après le début de leurs démarches, une disposition issue du rapport du député LRM Aurélien Taché sur l’intégration des immigrés en France.
En février, la remise de ce document au gouvernement avait été largement scénarisée pour montrer que la fermeté ne primerait pas dans l’approche de cette question. Finalement, d’intégration il a été bien peu question et c’est précisément ce que des députés LRM, et pas seulement les contestataires du texte affichés, craignaient.
Au final, le texte a été adopté par 228 voix contre 139 et 24 abstentions. Il a été approuvé par la majorité LRM-Modem et le groupe UDI-Agir-Indépendants. Les Républicains et toute la gauche – socialistes, communistes et Insoumis – ont voté contre, tout comme les députés frontistes. Richard Ferrand, patron du groupe LRM avait annoncé que ceux qui s’opposeraient au texte étaient menacés d’expulsion du groupe. Une incertitude demeurera néanmoins : combien de députés LRM étaient véritablement en phase avec le texte ?
Contrairement à l’usage, il n’y a pas eu de « vote solennel » en première lecture sur ce texte, qui se tient en général le mardi après-midi suivant la fin de l’examen, quand un maximum de députés sont présents dans l’hémicycle. Officiellement, parce que les vacances parlementaires commencent lundi. Mais pour l’opposition, c’est également une façon de rendre service à des députés de la majorité en leur permettant de ne pas avoir à prendre position dans un vote solennel de toute la représentation nationale.