Mardi 24 avril, à la chambre de première instance du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Radovan Karadzic, ex-chef politique des Serbes de Bosnie a rejetté les accusations contre lui. / YVES HERMAN / AFP

Vingt-six ans après le début de la guerre de Bosnie-Herzégovine (1992-1995), Radovan Karadzic veut encore réécrire l’histoire. Condamné à quarante ans de prison le 24 mars 2016 par une chambre de première instance du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), le psychiatre, capturé en juillet 2008 à Belgrade, demande en appel la reprise de son procès à zéro pour contrer « un jugement qui fourmille de propos travestis ».

Lundi 23 et mardi 24 avril, l’ex-chef politique des Serbes de Bosnie a, devant la chambre d’appel, rejeté les accusations contre lui. M. Karadzic aurait, depuis dix ans, « continué à lutter pour la justice », assure son avocat. Une justice qui l’a reconnu coupable en première instance de « génocide à Srebrenica », de « crimes contre l’humanité » pour l’épuration ethnique menée en Bosnie – dont les quatre ans du siège de Sarajevo – et de « crimes de guerre » pour la prise en otage d’agents de l’ONU.

Maître Peter Robinson l’affirme : son client reste « empli d’espoir », mieux armé que jamais de « son optimisme sans fin, l’amour de sa population (…) et son grand sens de l’humour », que l’on peine néanmoins à percevoir depuis la galerie publique, où sont venues, comme à chaque grande étape des procès de La Haye, des veuves de Srebrenica.

« Dresser une autoroute vers l’enfer »

Débarrassé de la barbe de gourou sous laquelle il se cachait durant ses années de cavale, chevelure poivre et sel toujours en bataille – signalée « flamboyante » dans les fiches d’Interpol à l’heure ancienne de sa cavale –, Radovan Karadzic se présente comme un incompris. On aurait déformé ses discours ; mésinterprété ses déclarations ; ignoré ses livres. A l’heure de la guerre, promettre à ses ennemis « de dresser une autoroute vers l’enfer » n’était pas une menace mais un avertissement, explique-t-il aux juges de la chambre d’appel.

Il invite – à moins qu’il ne s’agisse aussi d’un avertissement – à réviser son jugement, faute de quoi « le conflit entre nous ne va pas cesser ». Pire, dit-il, bien conscient que le mandat politique du tribunal de l’ONU aura été d’accompagner les accords de paix de 1995, ce jugement « va infliger un grand mal » en ex-Yougoslavie.

Sa condamnation, en 2016, n’a pourtant pas amplifié les tensions déjà persistantes en Bosnie. A 72 ans, Radovan Karadzic est inexorablement un homme du passé, qui assène les mêmes propos tenus aux premières heures de la guerre. « La Bosnie-Herzégovine n’avait pas le droit de faire sécession unilatéralement », répète-t-il, et s’il n’avait rien fait, il « aurait dû répondre de haute trahison ».

Karadzic assure avoir tout ignoré de Srebrenica, et du massacre de 5 115 Musulmans de Bosnie – décompte du TPIY – par les forces bosno-serbes conduites par Ratko Mladic en juillet 1995. « Pensez-vous qu’il y a une conspiration du silence ?, demande le président, Theodor Meron, à l’avocat de Karadzic. Que tout le monde, tous les officiers, ont participé à une conspiration du silence ? », laissant le chef suprême dans l’ignorance.

Les conditions de détention dans les camps

Le procureur, qui a, lui aussi, fait appel du jugement de 2016, cherche à convaincre les juges du bien-fondé de l’accusation de « génocide » en Bosnie, qui n’avait pas été retenue : « L’intention génocidaire ne se réduit pas à un simple calcul mathématique, rappelle la substitut du procureur, Laurel Baig. La question n’est pas l’échelle des massacres, mais savoir si l’objet du crime était de détruire. » Dans les camps, les conditions de détention correspondaient à des actes génocidaires, explique-t-elle : pas d’eau, pas de médicaments, mauvais traitements contre les femmes, les personnes âgées et les enfants, viols fréquents. Un génocide, explique Laurel Baig, c’est « lorsque les membres de ce groupe ne peuvent plus se constituer en tant que communauté ».

L’avocat de Karadzic conteste : « L’intention de déplacer une population n’est pas l’intention de la détruire. » La procureure fait parler les victimes : « Ils ont des cauchemars, disent que leur vie s’est arrêtée en 1992. Ils disent qu’ils vivent encore tout seuls. Ils disent que c’est comme s’ils avaient été tués. » Karadzic, dit-elle, « a abusé de son pouvoir immense de faire couler le sang de milliers de victimes. Pour que justice soit faite, il faut qu’il soit condamné à la peine la plus importante, c’est-à-dire la perpétuité ».

En première instance, les juges avaient accordé à Radovan Karadzic la circonstance atténuante d’avoir quitté la scène politique après-guerre, le condamnant à quarante ans de prison. La procureure proteste, arguant que « Karadzic a conclu cet accord une fois que la possibilité de poursuivre ses campagnes criminelles était annulée ». L’ex-chef des Serbes de Bosnie avait fait valoir l’accord passé avec le négociateur américain Richard Holbrooke : un retrait politique contre la liberté, alors que pesait contre lui un mandat d’arrêt du TPIY. Le verdict définitif devrait être rendu d’ici fin décembre.