Mille choses sur « Milla »
Mille choses sur « Milla »
Par Clarisse Fabre
Dans son deuxième long-métrage, Valérie Massadian filme avec poésie l’urgence sociale et le quotidien d’une mère seule, incarnée par Séverine Jonckeere.
Découvrir Milla, deuxième long-métrage de Valérie Massadian, puis rencontrer sa réalisatrice plutôt méconnue dans le cinéma français, c’est emprunter un jeu de piste dont on ressort le cœur ému et les idées claires. Tant de lignes s’y croisent – biographiques, esthétiques, sociales – entre la vie réelle et les personnages du film, pour former un tout cohérent. Avec son enfance difficile, son regard construit auprès du styliste Jean Colonna, de la photographe Nan Goldin, et sa passion pour l’art contemporain, Valérie Massadian ne pouvait faire un autre film.
Milla est un poème de plus de deux heures où l’urgence sociale est traitée avec une audace esthétique, sous forme de tableaux. L’histoire est simple, et on ne nous dit pas tout : Milla et Léo sont deux jeunes amants « sans toit ni loi », à peine majeurs. Ils volent de quoi manger, s’installent dans une maison inhabitée, adorent écouter le même morceau de rock – Add it up, de Ghost Dance, pour les initiés. Le rire de Milla jaillit comme un nuage de poudre et balaie les tensions. On est en bord de mer, à côté de Cherbourg. Léo trouve du travail dans la pêche tandis que le ventre de Milla s’arrondit. Mais une nuit, le bateau fait naufrage… Fin du premier volet. Seule et enceinte, Milla va faire face. D’un hôtel où elle fait le ménage au primeur de fruits et légumes où elle apprend à se servir d’une balance. Puis elle devient mère et s’occupe de son enfant.
Il y aurait mille et une façons de mener ce récit. La réalisatrice a fait des choix : l’actrice principale, Séverine Jonckeere, n’est pas une comédienne, mais une jeune femme qui a grandi de foyer en foyer et a vécu plus ou moins ce qu’elle joue à l’écran, avec son propre fils, Ethan ; le cadrage et la lumière sont au centre du dispositif, et non les dialogues ; enfin, la fabrication du film, une coproduction franco-portugaise, s’est faite un peu en dehors du système. En plus de dessiner l’affiche du film, la réalisatrice a embarqué son fils et sa mère sur le tournage – Mel Massadian signe l’image et Christiane Famer a fait les repas.
Le cinéma « peut » quelque chose, estime la cinéaste, même si Milla ne verse jamais dans le film à message. En déplaçant Séverine Jonckeere sur le terrain du cinéma, aux côtés de l’acteur Luc Chessel (d’une magnifique sensibilité), Valérie Massadian lui accorde sa confiance, et la jeune fille prend conscience de ses capacités. Pour trouver Milla, la cinéaste a passé des annonces dans des foyers, laissé des mots dans les boulangeries… Et la blonde Séverine s’est imposée. Avec elle on est déjà dans la fiction : sa moue boudeuse, son port de tête et son regard, parfois d’une tristesse infinie, évoquent de manière saisissante Simone Signoret jeune – dans Casque d’or (1952), de Jacques Becker. La mise en scène fait le reste. Un simple drap fleuri devient un fond photographique devant lequel Séverine Jonckeere pose son gracieux visage de camée.
A la lisière du film muet
Milla se déploie entre fiction et documentaire, à la lisière du film muet. La cinéaste laisse parler les corps. Il y a cette scène électrisante dans un couloir de l’hôtel, où Milla pousse son chariot de ménage et semble ailleurs. La chanson des Ghost Dance qui lui rappelle Léo démarre… La caméra effectue un long travelling et finit par dévoiler la chanteuse et le guitariste du groupe en pleine action, interprétant furieusement leur titre fétiche.
Le film a été récompensé dans de nombreux festivals, au Ficunam de Mexico notamment, où Valérie Massadian a reçu cet hiver le Prix du meilleur réalisateur des mains de Lav Diaz, le cinéaste philippin, Lion d’or à la Mostra de Venise pour The Woman Who Left (2016). Le premier long de Valérie Massadian, Nana (2012), avait, lui, reçu le Prix du meilleur premier film au Festival de Locarno. Il y était déjà question d’une mère seule avec son enfant. Au milieu des bois et des fermes isolées, Nana, 4 ans, « fait sa vie » et se débrouille face à une mère désemparée. Encore un film silencieux, seulement rempli du craquement des arbres et de babillage – un magnifique témoignage sur l’apprentissage de la langue. Milla est un peu la face B de Nana, ou inversement.
Film français et portugais de Valérie Massadian. Avec Séverine Jonckeere, Luc Chessel, Ethan Jonckeere, Elizabeth Cabart, Valentine Carette (2 h 08). Sur le Web : jhrfilms.com/milla
Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 25 avril)
- Marion, film français d’HPG (à ne pas manquer)
- Milla, film français et portugais de Valérie Massadian (à ne pas manquer)
- Bottle Rocket (1996), film américain de Wes Anderson (à voir)
- Foxtrot, film allemand, français et israélien de Samuel Maoz (à voir)
- Land, film français, italien, mexicain et néerlandais de Babak Jalali (à voir)
- Mai 68, la belle ouvrage, documentaire français de Jean-Luc Magneron (à voir)
- Nobody’s Watching, film américain, argentin, brésilien, colombien, espagnol et français de Julia Solomonoff (à voir)
- Transit, film allemand de Christian Petzold (à voir)
- Amoureux de ma femme, film français de Daniel Auteuil (pourquoi pas)
- Ciao Ciao, film chinois et français de Song Chuan (pourquoi pas)
- La Route sauvage, film américain d’Andrew Haigh (pourquoi pas)
- La Vita possibile, film italien et français d’Ivano De Matteo (on peut éviter)
Nous n’avons pas vu :
- Avengers: Infinity War, film américain de Joe et Anthony Russo
- Le Bateau ivre, film français de Dominique Philippe
- Comme des garçons, film français de Julien Hallard
- Mika et Sébastian, l’aventure de la poire géante, film d’animation danois de Jorgen Lerdam, Philip Einstein Lipski et Amalie Næsby Fick
- Les Municipaux (ces héros), film français d’Eric Carrière et Francis Ginibre
- Une femme heureuse, film britannique de Dominic Savage