L’avis du « Monde » – à voir

Si El Reino convainc davantage le spectateur que le précédent film de son auteur, Que Dios nos perdone, c’est sans doute parce qu’il parvient à dépasser les contraintes un peu codées du cinéma policier pour proposer un type particulier de suspense, une manière d’embarquer le spectateur dans un « trip » à la fois burlesque et terrifiant. En collant, durant plus de deux heures de projection, aux faits et gestes de son personnage principal, animal affolé lancé dans une course sans raison apparente sinon celle de la survie sociale, le film de Rodrigo Sorogoyen confronte une des figures contemporaines les plus détestées et les plus familières aujourd’hui, le politicien corrompu, à un écheveau de sentiments contradictoires.

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Manuel Lopez Vidal est un homme politique, un élu régional, semble-t-on comprendre, qui se trouve être visé par des accusations de corruption et, devine-t-on, de concussion. Tout commence par l’arrestation et la garde à vue de l’un de ses camarades de parti et associé en affaires. A partir de ce moment, la menace d’une mise en cause judiciaire de l’homme ne fait que croître.

Tout le film va consister en un accompagnement du personnage dans sa recherche d’une échappatoire. Chaque possibilité d’issue favorable se trouve irrémédiablement détruite par la trahison supplémentaire d’un membre de son entourage politique, conformément aux règles d’un système qui n’hésite pas à se débarrasser d’un élément devenu encombrant. Mensonges et volte-face, démentis de la parole donnée décrivent dès lors un mode de comportement généralisé, que le douteux héros de ce récit n’hésitera pas non plus à adopter.

Engrenage fatal

El Reino décrit un engrenage fatal fait de paranoïa et de choix absurdes, et le film hésite entre le thriller terrifiant (le « héros » est-il menacé ?) et la satire parfois burlesque d’un univers où ne régneraient que le rapport de force et la fuite. La forme même du parcours de Lopez Vidal est celle d’une spirale catastrophique dont chaque volute descendante est le résultat d’un mauvais choix.

Tenter d’enregistrer ses compagnons du parti pour les compromettre et peut-être sauver sa peau, récupérer des documents compromettants en forçant la porte d’une résidence dans laquelle les enfants de son adversaire font la fête, se révèlent, à chaque fois, de désastreuses options. En collant systématiquement au personnage, la caméra de Rodrigo Sorogoyen écrit la partition d’une chorégraphie rythmée par la pulsation de la musique répétitive et entêtante d’Olivier Arson.

Maîtrisant une assez réussie logique comportementaliste (on ignore tout, après tout, du degré de culpabilité du personnage central), El Reino plonge le spectateur au cœur d’une machine entropique. Il est sans doute un peu dommage que le film cherche une manière de conclure en imaginant une séquence de confession sur un plateau de télévision, manière de ramener le spectateur sur les rives plus balisées d’un cinéma de dénonciation. L’essentiel aura été ailleurs, dans le mécanisme quasi ludique engendré par les déboires du louche protagoniste principal de cette comédie de la traîtrise et de la manipulation.

Bande-annonce EL REINO
Durée : 01:36

Film espagnol de Rodrigo Sorogoyen. Avec Antonio de la Torre, Monica Lopez, Josep Maria Pou (2 h 11). Sur le Web : www.le-pacte.com/france/prochainement/detail/el-reino