Caster Semenya lors des Mondiaux de Londres. / Daniel Ochoa De Olza / AP

La Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) dévoile, jeudi, les nouvelles règles d’éligibilité aux compétitions féminines. Au centre de la manœuvre, on retrouve la question de l’hyperandrogynie de certaines athlètes, accusées de profiter d’avantages inéquitables. Pierre-Jean Vazel, entraîneur d’athlétisme, qui a travaillé sur la question, notamment sur son blog pour Le Monde.fr, est en opposition totale avec la politique de l’IAAF.

Quels sont les principaux changements induits par l’IAAF concernant les athlètes hyperandrogynes (qui produisent naturellement des taux élevés de testostérone) ?

Il est important de rappeler que, sur ce dossier, l’IAAF marche depuis le début main dans la main avec le CIO. Leurs experts scientifiques, qui travaillent sur ces réglementations, sont les mêmes. On sait tout d’abord qu’une nouvelle catégorie est en préparation, une sorte de troisième genre. Cela s’appuie sur les travaux du docteur Yannis Pitsiladis et d’une ancienne athlète transgenre, Johanna Harper. En début d’année, ils ont donné une conférence pour expliquer qu’en Allemagne, un troisième sexe venait d’être légalement créé, que cela existait dans une dizaine de pays, donc l’IAAF et le CIO veulent faire la même chose.

Dans ces travaux, l’IAAF parle de femmes DSD (différences de développement sexuel), qui présentent un taux de testostérone supérieur à 5 nmol/L, au lieu de 10 nmol/L auparavant, depuis un précédent règlement qui datait de 2011. Il faut savoir que 10, c’est la limite inférieure normale chez un homme. En dessous, on autorise, par exemple, un sportif à prendre une AUT (autorisations d’usage thérapeutique), car cela représente un risque pour la santé.

De plus, certaines de ces femmes « DSD » ont un chromosome XY, dont le métabolisme dépend beaucoup de la testostérone. Baisser ce taux pour pouvoir participer à des compétitions ne s’impose pas d’un point de vue médical – elles ne sont pas malades – et plus encore, cela les met en danger, car une vingtaine d’effets indésirables sont recensés et cela provoque de manière anticipée une sorte de ménopause.

L’obstination des instances sportives, en particulier l’IAAF, repose-t-elle sur les clichés associés aux corps des femmes ? Est-ce idéologique ?

On est dans une croyance. D’ailleurs, le président de l’IAAF Sebastian Coe a déclaré qu’il croyait que le taux de testostérone et les performances étaient directement corrélés. C’est une conception des années 1980. Ce sont des idées préconçues parce que cette ligne ne regarde la performance que par le prisme de la testostérone.

Aujourd’hui, on sait que ce n’est pas juste. Les performances dépendent de plusieurs facteurs qui se combinent comme le taux, le caryotype XX ou XY, les différents gènes mais aussi les récepteurs androgènes… D’ailleurs, parmi les femmes « DSD », certaines présentent un syndrome d’insensibilité complète ou partielle, leurs récepteurs ne reconnaissent pas ou peu la testostérone qui circule dans leur corps dans des proportions impossibles à quantifier. Or, ces dernières sont mises dans le même sac que les autres. Cela illustre l’absurdité de tout ça.

On oublie aussi de rappeler que toutes les femmes hyperandrogynes ne bénéficient pas de qualités physiques exceptionnelles. Toutes ne sont pas athlètes de haut niveau même si, à Rio, le podium du 800 m était composé exclusivement de ces athlètes. C’est très rare. Le syndrome n’est pas nouveau, il a toujours existé. Toutes ne font pas des podiums. Dutee Chand (sprinteuse indienne dont le cas avait étudié par le TAS en 2015) possède, par exemple, un record sur 100 m assez modeste.

Sur quelles études s’appuie l’IAAF ?

A l’époque de la première réglementation en 2011, aucune étude n’existait. Lors de l’examen du cas Dutee Chand en 2015, le Tribunal arbitral du sport avait opposé ça à l’IAAF : « Vous n’apportez aucune preuve scientifique. on vous donne deux ans pour le faire. » C’était déjà très généreux. Ils ont demandé une rallonge en 2017, qu’ils ont obtenue.

Finalement, courant 2017, les médecins de l’IAAF, pas du tout impartiaux, ont fini par sortir une étude, en cherchant ce qu’ils voulaient trouver. Ils ont pris les résultats des Mondiaux 2011 et 2013 en comparant pour chaque épreuve si les femmes qui présentaient le taux de testostérone le plus élevé avaient le plus haut niveau de performances.

Bizarrement, ce constat est le plus fort au marteau et à la perche. Il y a une tentative d’explication : les experts disent que la testostérone permet d’être plus agile et adroit. Il y a également une corrélation constatée sur des épreuves comme le 400 m, le 800 m ou le 400 m haies mais pas sur les disciplines de force comme le sprint ou le lancer de poids. En lisant l’article médical, on ne comprend pas pourquoi. L’agilité et l’adresse ne sont d’aucune utilité pour le 400 ou le 800 m. Il y a des doutes sur cette étude, car elle inclut forcément des athlètes dopées. On sait qu’à cette période les Russes notamment étaient très fortes sur 400 et 800 m. La réglementation va d’ailleurs du 400 m au mile (1,6 km).

En n’incluant pas le marteau ni la perche et en visant les épreuves du 400 m au 1 500 m, ne vise-t-on pas spécialement la coureuse sud-africaine Caster Semenya, dont l’éclosion en 2009 a toujours suscité la polémique ?

Exactement, cela correspond aux épreuves où elle s’aligne. Or, il n’a pas été trouvé d’association entre testostérone et 1 500 m. En incluant le 1 500 m et en excluant le marteau et la perche, l’IAAF n’est même pas cohérente avec sa propre démarche scientifique. Cela donne le sentiment de cibler Semenya qui a d’ailleurs annoncé qu’elle pourrait monter sur 5 000 et 10 000 m pour pouvoir continuer à participer à des compétitions. Tout cela est absurde.

L’un des principaux arguments des tenants de cette ligne est de comparer l’hyperandrogynie à une forme de dopage.

Comme avant cette étude, l’IAAF n’avait rien à se mettre sous la dent, c’est, en effet, leur grande théorie. Ils ont utilisé le dopage en RDA qui pouvait améliorer, selon eux, la performance des athlètes dopées de 9 à 10 %. Cela tombe bien, cela correspond justement à la différence de performance entre les hommes et les femmes dans les courses.

Le TAS a repris cette donnée et a demandé à l’IAAF de prouver que le taux de testostérone conférait à ces athlètes un avantage de 10 %. Les experts n’en sont qu’à 4 ou 5 % pour le moment… Ce chiffre est issu des études réalisées avec quatre athlètes qui ont accepté de se faire opérer. On leur a promis que leurs performances allaient baisser, mais qu’elles allaient rester athlètes élites. Cette promesse n’a pas été tenue. Tout cela est un énorme scandale : on a opéré sans justification médicale, juste pour faire entrer des athlètes dans les clous du règlement IAAF. On les a fait passer en situation de ménopause précoce avec des conséquences irréversibles notamment sur la fertilité.

Quid du secret médical ?

C’est un autre problème. Malgré l’anonymat de façade, les données de taille, de poids, d’âge ont permis d’identifier ces quatre cobayes. L’IAAF est incapable de préserver le secret médical. En 2009, lors des Mondiaux de Berlin, ils avaient livré en pâture une jeune fille de 17 ans. Tout le monde pérorait sur les organes sexuels, sur le taux de testostérone et sur le corps de Caster Semenya. Cette catégorie « DSD » ouvre la même boîte de Pandore. On n’a pas à savoir qui a un micropénis, des testicules pas descendus ou tel caryotype… C’est du délire. Cela ne regarde que ces athlètes et le CIO envisage de les faire concourir dans une catégorie troisième genre. Et ça va à l’encontre des statuts de l’IAAF censée protéger la santé des athlètes.

L’ironie n’est-elle pas encore plus grinçante lorsque l’on compare l’énergie dépensée dans ce dossier et la faiblesse, voire la passivité de l’IAAF en matière de lutte antidopage ?

C’est effectivement le même département médical qui était chargé du suivi du passeport biologique des athlètes russes notamment… On confond tout dans cette histoire. A mon sens, c’est l’un des plus gros scandales de l’histoire du sport. On essaie d’imposer un contrôle sur le corps des femmes. Ce n’est pas nouveau. Dès que les femmes ont voulu faire du sport, on a contrôlé les épreuves qu’elles étaient autorisées à pratiquer, on a scruté leur corps, on a contrôlé leurs organes génitaux. Finalement, toutes les femmes sont perdantes.

Y a-t-il une solidarité féminine de la part des autres athlètes ?

Pas vraiment, mais c’est un problème d’éducation et d’accès à l’information. Le CIO, l’AMA et l’IAAF ont une énorme responsabilité en ce domaine à cause de la manière dont ils communiquent sur ces cas. Comment peut-on se demander publiquement si Semenya est un homme ou une femme ? Toutes ces athlètes dans le collimateur de l’IAAF se considèrent femme, et non pas comme intersexe, elles ont été identifiées à la naissance en tant que femmes, ont des papiers qui mentionnent qu’elles le sont… C’est une violation de la façon dont elles se perçoivent et dont on les perçoit dans des pays qui ne reconnaissent pas ce troisième genre.

Caster Semenya a beaucoup de soutien en Afrique du Sud, comme Francine Niyonsaba au Burundi. Je me demande parfois quel accueil elles auraient reçu en France quand on voit la violence sur les réseaux sociaux. On parle d’elles au masculin, on insinue qu’elles trichent… Il y a un problème d’information du grand public et des autres athlètes.