A Bourges, hommage sage et solennel à Leonard Cohen
A Bourges, hommage sage et solennel à Leonard Cohen
Par Bruno Lesprit (Bourges, envoyé spécial)
Vendredi 27 avril, dans la cathédrale Saint-Etienne, ont résonné des reprises du chanteur canadien mort en 2016.
Le groupe Avalanche Quartet. / Pim Kops
Mort le 6 avril, Jacques Higelin a chanté onze fois au Printemps de Bourges, dès la première édition, en 1977. La proximité de cette perte n’a guère laissé le temps d’improviser l’hommage qu’il aurait mérité, même si Arthur H lui a adressé un salut filial en interprétant Mona Lisa Klaxon, après Catherine Ringer, dès la soirée d’ouverture, avec Pars. En conséquence, la célébration dans la cathédrale, vendredi 27 avril, de l’œuvre de Leonard Cohen, parti le 7 novembre 2016, paraissait quelque peu décalée.
Difficile d’imaginer caractères aussi éloignés que ceux des deux disparus, générosité fantasque pour Higelin, retenue élégante chez Cohen. Une image que n’a pas cherché à dissiper Hallelujah, la création préparée par Henk Hofstede. Celui qui est connu comme chanteur et guitariste du groupe pop néerlandais Nits a monté un projet parallèle, Avalanche Quartet, entièrement voué à l’interprétation des chansons du Montréalais, et auteur de deux albums, Leonard Cohen Songs (2007) et Rainy Night House (2013). Probablement pour expier une occasion ratée : en 1988, Cohen et Hofstede se rencontrent pour la première et unique fois à Bruxelles et le premier propose aux Nits de l’accompagner en tournée. Déjà pris par d’autres engagements, ils déclineront.
Aucune faute de goût
L’assurance d’entendre des chansons belles, cruelles et intemporelles a empli jusqu’à ses capacités la nef de Saint-Etienne. Avec humour, Hofstede observe en français que l’édifice est approprié pour « un homme avec une voix comme une cathédrale ». Dans ce cadre grandiose et solennel résonnent – et hélas se réverbèrent – les arpèges acoustiques de Who By Fire. La version, fidèle et sage, donne l’orientation d’une soirée scrupuleuse jusqu’à être trop respectueuse. Le timbre grave et légèrement nasillard d’Henstede accentue le mimétisme avec l’original, sans les vertiges de profundis. A ses côtés et également à la guitare sèche, Marjolein van der Klauw apporte cette voix féminine indispensable aux prières érotiques de Cohen. Les harmonies vocales, la contrebasse d’Arwen Linnemann, les ornementations délicates au clavier ou à l’accordéon du multi-instrumentiste Pim Kops ne commettent aucune faute de goût, en observant les canons du folk. L’Avalanche Quartet passera en revue les classiques coheniens (Sisters of Mercy, Bird on a Wire, Dance Me to the End of Love, Suzanne…), en ignorant curieusement celui qui lui donne son nom.
Cinq invités, choisis parmi la scène locale, se succèdent pour ce long récital (plus de deux heures) guetté par la monotonie. L’apparition de Raphael soulève quelque inquiétude quand il annonce « une chanson profane dans un lieu sacré » – or toutes les chansons de Cohen sont sacrées. Mais le chanteur de Caravane donne une version sobre et inspirée de Chelsea Hotel en s’essayant sur sa guitare espagnole au rasgueado, cette technique flamenca de frappes rapides qui caractérisait le jeu de Cohen. Sur un lit d’orgue, Rover s’octroie davantage de licence en tirant Ain’t No Cure for Love vers le gospel, une couleur de circonstance. Et Jeanne Added ne manque pas de brouiller les genres avec I’m Your Man, délesté de son synthétiseur et de sa boîte à rythme au profit d’un banjo et d’un piano électrique. Dommage, seulement, que les imprécations de Yan Wagner tendent à un numéro d’imitation de Nick Cave.
Rosemary Standley crée le miracle
Après l’entracte, l’ajout d’un octuor de cordes et les fins arrangements réalisés par son chef, Uele Lamore, offrent une relecture plus originale de ce répertoire. Mais c’est surtout l’entrée de Rosemary Standley, avec un harmonium portatif, et de la violoncelliste brésilienne Dom La Nena, qui permettent à la grâce de traverser les vitraux. Avec sa voix échappée d’un poste à galène datant de la Grande Dépression, la chanteuse de Moriarty emmène Blessed is the Memory dans une dimension intensément personnelle. Ce qui ne surprend guère puisque ce titre ouvrait Birds on a Wire (2014), le recueil de Rosemary Standley et Dom La Nena associant Cohen à Monteverdi ou Caetano Veloso. Le miracle se prolonge avec Hey That’s No Way to Say Goodbye, dynamisé par des pizzicati. L’attendu reprendra le dessus avec un Hallelujah – cette chanson devenue un incontournable des télé-crochets, jusque dans le scandale – pour Jeanne Added et un So Long Marianne collectif.