Catherine Coquery-Vidrovitch / Albin Michel

Spécialiste de l’Afrique, l’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch revient sur l’élaboration de son ouvrage, Les Routes de l’esclavage, et de la série documentaire du même nom, diffusée sur Arte, sur laquelle elle a été conseillère historique avec Eric Mesnard.

Lequel de ces projets a précédé l’autre ?

Les deux sont interreliés. Fanny Glissant a pensé la structure du film à partir d’un ­livre, écrit en collaboration avec Eric ­Mesnard, Etre Esclave. Afrique-Amériques, XVe-XIXe siècle (La Découverte, 2013). C’est pourquoi elle nous a demandé d’être les conseillers historiques des films. J’ai d’abord fourni mon carnet d’adresses des spécialistes internationaux, longuement interviewés. Cela m’a donné l’idée de me reporter à leurs travaux spécifiques pour comprendre comment tous ces processus s’enclenchaient. Très consciemment, je me suis détachée du film, le travail de l’historien différant de celui du cinéaste. Mais on peut dire que films et livre ont mûri en parallèle.

Votre ouverture sur les sources et les ­définitions est aussi précieuse que rigoureuse. Pouvait-on leur faire place dans le documentaire ?

Traiter de la diversité et de la richesse des sources alors qu’on croit encore qu’elles sont insuffisantes était une évidence d’historien. Un film ne peut pas tout dire, il faut constamment choisir. Par exemple, les ­réalisateurs ont choisi de parler seulement de l’ancien Mali. Ce n’est évidemment pas mon choix, j’examine tous les empires de l’or et des esclaves médiévaux : Ghana, Mali, Songhaï, Bornou. Ils ont voulu donner des sources une image visuelle en montrant à plusieurs reprises un ou une archiviste extrayant un document d’une réserve précieuse. Si le spectateur reste sur sa faim, il faut qu’il s’adresse au travail d’histoire.

Les entretiens jouent un rôle-clé. Est-ce pour proposer une vision internationale et actualisée de l’état de la recherche ?

Bien sûr, l’idée commune est de montrer les dimensions du processus et son importance dans l’histoire du monde en général et de l’Occident en particulier. Chaque ­spécialiste est imbattable sur son terrain de recherche et détient une parcelle dans le temps et l’espace de cette réalité majeure. Mais le chercheur spécialisé ne remet pas nécessairement son étude localisée dans une perspective d’ensemble.

Ce que je voulais faire, c’est montrer que l’esclavage et les traites des Africains ont concerné quasiment le monde entier. Il fallait pour cela que je les lise tous pour trouver les liens multiples qui les relient. La quasi-totalité de ces recherches sont très récentes. Elles se sont démultipliées au début de ce siècle, par exemple, en France, depuis la loi Taubira (2001), au ­Brésil, grâce à une loi analogue en 2003, en Afrique subsaharienne, avec la conférence des historiens africains à Bamako en 2001.

Les Routes de l’esclavage. Histoire des traites africaines, VIe-XXe siècle(Albin Michel/Arte Editions, 230 p., 19,50 €) et en coffret (Arte, 4 × 52 min, 2 DVD, 29,90 €).