Austria Salzbourg, les dissidents de Red Bull
Austria Salzbourg, les dissidents de Red Bull
Par Clément Le Foll
En 2005, Red Bull a racheté l’Austria Salzbourg et fait table rase de son histoire. Un affront pour ses plus fidèles supporteurs, qui ont recréé leur propre club.
Les joueurs du SV Austria Salzbourg. / Daniel Huber
L’histoire fut commune, la fortune est diverse. Il y a une semaine, le Red Bull Salzbourg disputait pour la première fois une demi-finale de Ligue Europa contre Marseille (2-0). Deux jours plus tard, l’Austria Salzbourg affrontait, lui, l’Union Hallein, en quatrième division autrichienne. Pourtant, il y a treize ans, ces deux équipes n’en formaient qu’une, durant quelques semaines.
Le 6 avril 2005, l’entreprise Red Bull officialise le rachat d’une des équipes les plus populaires d’Autriche, l’Austria Salzbourg. « C’était l’euphorie ! Le club souffrait de problèmes financiers depuis vingt ans, c’était l’occasion d’en finir », ressasse Moritz Grobovschek, fondateur en 1992 du premier groupe de supporteurs de l’Austria. Avec l’arrivée de Red Bull, le club espère grossir son palmarès et renouer avec son glorieux passé, symbolisé par trois championnats d’Autriche et une finale de coupe UEFA en 1994 contre l’Inter Milan.
De l’enthousiasme à la consternation
L’euphorie est vite balayée par la stupeur. Si les supporteurs ne sont pas gênés que leur club prenne le nom de la boisson, des désaccords apparaissent. En juin, le fraîchement baptisé Red Bull Salzbourg dévoile ses nouveaux maillots : le logo et les couleurs de l’Austria – le violet et le blanc – sont remplacés par ceux de la marque.
« Nous croyions que c’était une erreur, s’étonne encore Moritz, qui comprend alors les intentions de Red Bull. Ils ne voulaient pas être un sponsor, mais contrôler le club. » La firme dirigée par Dietrich Mateschitz s’attaque à tout ce qui rappelle l’Austria Salzbourg. Comme son palmarès, ou son année de création (1933), qui doit être modifiée par l’année d’arrivée du taureau. Seule l’intervention de la Bundesliga empêche ces modifications.
Chez les fans, la fronde s’organise. L’initiative « Violett-Weiss » est lancée dans le but de défendre l’histoire du club et de dialoguer avec la nouvelle direction. Moritz se souvient d’une de ces réunions : « Ils ne voulaient rien entendre. Les seuls éléments qui pouvaient être violets étaient les chaussettes ou le logo du sponsor. » Dans la presse, le nouveau coach, Kurt Jara, en remet une couche : « S’ils veulent un club violet et blanc, ils n’ont qu’à en créer un. »
Les supporteurs vont le prendre au mot. Excédés, 3 000 frondeurs s’affranchissent de Red Bull. Le 7 octobre 2005, quelques-uns font renaître l’Austria Salzbourg. « Nous n’avions rien, même pas de ballons. Nos premières recettes émanaient de la billetterie, du merchandising, des cartes de membre et de nos quatre sponsors », se remémore Alexander Hütter, investi dans le club depuis 2005 et désormais chargé de la communication. Pour se relever, l’Austria reçoit d’autres soutiens. « Il y a eu une vague de solidarité partout en Autriche. Les supporteurs du Rapid Vienne comme moi ont notamment organisé une quête pour les aider financièrement », rapporte Dominik, supporteur du club de la capitale.
La renaissance
Après six mois en association avec un club local, l’Austria Salzbourg débute la saison 2006-2007 en septième division. « Nous avions organisé des détections pour former l’équipe. Il y avait des supporteurs, des footballeurs à la retraite et d’anciens joueurs du club », se rappelle Moritz, qui fut nommé président du club.
Le premier match officiel de l’Austria a lieu en juillet 2006. Une défaite 6-0 contre Anif en Coupe d’Autriche. Peu importe pour Moritz. « Voir plus de 1 000 supporteurs en violet et blanc chaque week-end, ça nous a donné la force de continuer. » Très vite, le club écrase tout sur son passage : quatre promotions consécutives entre 2006 et 2010. Entre-temps, Moritz a quitté son poste de président. « Les finances étaient saines et nous commencions à prévoir un retour au professionnalisme », dévoile-t-il. Alors en troisième division, l’Austria n’est qu’à une promotion de la Erste Liga, premier championnat professionnel d’Autriche, où il finit par se hisser en 2015.
Match du SV Austria Salzburg contre le FC Liefering (la reserve du Red Bull Salzbourg).
En seconde division, l’Austria doit mettre son stade aux normes. « Nous devions notamment aménager un secteur visiteur d’une capacité minimum de 1 000 places et adapter l’éclairage. On a dû trouver une solution en attendant que notre stade soit prêt », précise Alexander. L’Austria délocalise ses rencontres au stade du SC Schwanenstadt. « Mais il y avait aussi des travaux à mener. Ça nous a coûté très cher. » A l’automne 2015, le club est en faillite, miné par ses aménagements et, selon Moritz, par une gestion inadaptée des deux derniers présidents, « trop dépensiers et peu doués pour récolter de l’argent ».
Une fois de plus, l’Austria va compter sur ses supporteurs et la solidarité d’autres clubs pour survivre. Une collecte d’environ 100 000 euros permet au club de payer sa licence en Erste Liga et plus de 25 000 euros sont récoltés par un financement participatif. L’équipe allemande de l’Union Berlin organise un match exhibition dont l’intégralité des recettes est reversée à l’Austria Salzbourg.
Nouveau départ
En janvier, le club a annoncé avoir épongé ses dettes. Après restructuration, elles s’élevaient à 1,4 million d’euros, dont 280 000 à payer par l’Austria. « Les deux premiers versements ont été réglés par certains dirigeants, le troisième par le club et le dernier par le club et les supporteurs », liste Alexander.
Rappelé à l’ordre par le foot business, l’Austria reste sur deux relégations et évolue en quatrième division. Entre 800 et 1 500 supporteurs assistent à chacune de ses rencontres. Le club compte également 2 000 membres, qui, contre une adhésion annuelle de 85 euros, ont notamment un droit de vote lors de l’assemblée générale. « Leur nombre a légèrement diminué à cause de nos problèmes financiers », confie Alexander. Aujourd’hui, l’objectif n’est plus un retour au professionnalisme, mais « un nouveau départ avec des finances saines, juge Moritz. Le président actuel, Claus Salzmann, a une approche qui colle plus avec les besoins du club ».
Ce destin en dents de scie est bien différent de celui du Red Bull Salzbourg, qui a glané huit titres de champion d’Autriche depuis 2005. Quand on demande si l’Austria a des contacts avec ce dernier, Alexander coupe court. « Il n’y a aucune relation », rétorque-t-il, avant de s’interroger. « Vous vouliez notre avis sur leur qualification en demi-finale de Ligue Europa ? » Après notre acquiescement, il conclut : « Nous n’en avons rien à faire. »