La mort du chef rebelle Afonso Dhlakama plonge le Mozambique dans l’incertitude
La mort du chef rebelle Afonso Dhlakama plonge le Mozambique dans l’incertitude
Par Adrien Barbier (Beira, Mozambique, envoyé spécial)
La disparition de cette figure de la guerre puis de la vie politique locale ouvre une série d’incertitudes sur la survie de son parti, la poursuite des négociations de paix et la stabilité du pays en général.
Afonso Dhlakama en octobre 2014. / GIANLUIGI GUERCIA / AFP
« On a perdu notre père, notre commandant. On n’en trouvera pas d’autre comme lui. » Vassoura Sairao, 77 ans, est désemparé, depuis la mort inattendue, jeudi 3 mai, du leadeur de l’opposition mozambicaine, Afonso Dhlakama. Cet ancien combattant de la sanglante guerre civile (1976-1992), côté rebelle, est venu se recueillir dès le lendemain devant la permanence de son parti à Beira (Centre). Autour de lui, quelques dizaines de personnes — seulement — sont assises sur des chaises en plastique devant le bâtiment, la mine fermée.
On aurait pu s’attendre à une déferlante de tristesse et de célébrations spontanées, qui sont de coutume en cas de mort d’un chef politique de cette envergure. Mais la disparition de ce monument de l’histoire mozambicaine a plutôt plongé la deuxième ville du pays, bastion historique de l’opposition, dans la torpeur. « Les gens ont peur, ils appréhendent la suite », dit un journaliste local.
Depuis 2012, la Résistance nationale mozambicaine (Renamo), un mouvement de guérilla issu des tréfonds de la guerre froide, transformé en parti d’opposition dans les années 1990, s’est résolu à reprendre les armes. Son ennemi est toujours le même : le Front de libération du Mozambique (Frelimo), au pouvoir depuis l’indépendance, en 1975. Après des mois de tensions, Dhlakama a décrété une trêve, à la fin de 2016. La paix demeure extrêmement fragile, et la disparition inattendue de cette figure clé ouvre une série d’incertitudes.
Sans dauphin désigné
A commencer par l’identité de son successeur. Depuis jeudi, le reste du leadeurship de la Renamo est totalement abasourdi. Il a fallu deux jours pour que la commission politique du parti se résolve, vendredi soir, à confirmer officiellement la mort de « l’icône de la démocratie mozambicaine ».
« Il nous avait prévenus. Le jour où il nous quitterait, le parti ne devrait pas s’arrêter, il faudrait continuer », veut croire Alberto Joao, un militant de 44 ans chargé de la mobilisation. Au long de sa carrière pourtant, Afonso Dhlakama a soigneusement pris soin d’écarter tous ceux de ses camarades qui auraient pu lui faire de l’ombre. Après trente-neuf ans d’un règne sans partage sur son mouvement, le guérillero part sans avoir désigné de dauphin, sans même avoir préparé le parti à l’éventualité de sa disparition.
Et alors qu’il se targuait d’être responsable de la démocratisation du pays, la nomination de son remplaçant semble suivre un chemin peu transparent. « Ils vont délibérer. Il faut trouver un consensus entre l’aile politique et l’aile militaire. Ensuite, on se rangera derrière le nouveau chef », explique un autre militant, Joaquim Macure. En réalité, les vieux généraux, qui comme Dhlakama ont passé l’essentiel de leur vie en brousse, gardent de loin l’ascendant sur la nouvelle génération, qui évolue dans la capitale, Maputo, à des centaines de kilomètres de là.
La nomination samedi d’un chef intérimaire, Ossufo Momade, un vieux lieutenant de la branche armée, responsable de la défense au sein du parti, semble augurer une reprise en main. Même s’il a déjà été député et secrétaire général, il ne fait pas partie des poids lourds les plus en vue sur la scène politique. Or, en face, le Frelimo a tendance à réagir de façon épidermique dès qu’un membre de la Renamo agite une arme.
Négociations de paix en cours
Compte tenu de cet équilibre précaire, la capacité du nouveau chef à poursuivre de cruciales négociations de paix est la deuxième grande inconnue. Depuis 2012, il a fallu pas moins de trois cadres très différents de pourparlers, et des mois de négociations, pour obtenir quelques avancées sur les contentieux qui perdurent depuis la fin de la guerre civile, en 1992.
Après une escalade d’attaques et d’affrontements en 2015 et 2016, causant des dizaines de morts et des milliers de réfugiés, le président Filipe Nyusi et le chef de la Renamo s’étaient résolus à traiter en tête en tête. Ces derniers mois, les deux hommes se sont notamment mis d’accord sur une révision constitutionnelle afin de permettre l’élection des gouverneurs provinciaux, une revendication majeure de la Renamo. Présenté à l’Assemblée, le texte doit encore être voté, et certains points font encore débat parmi les députés.
« Il est encore trop tôt pour reparler de tout cela, on doit laisser passer cette période de deuil, pour la famille et pour le parti », disait samedi du bout des lèvres Ivone Soares, nièce de Dhlakama et cheffe du groupe parlementaire à l’Assemblée, au cours d’une messe d’hommage organisée dans un quartier de Beira. Avant, déjà, de montrer des dents : « Il faudra ensuite une conversation profonde sur quel type de pays nous voulons. Parce que nous ne pouvons pas continuer à être traités comme des esclaves, à être dirigés comme si nous étions des encéphalopathies », a t-elle ajouté.
Messie
Enfin, à quelques mois des prochaines échéances électorales, la réaction de la population, en l’absence du charismatique leadeur, pourrait se révéler explosive. Lors de ses meetings, Afonso Dhlakama était capable d’attirer des foules monstres qui l’accueillaient comme le messie. Avec son parler simple, sa verve caractéristique, même sans programme politique défini, il emportait facilement l’adhésion de la jeunesse désœuvrée du centre et du nord du pays. Celle-ci se retrouve sans candidat.
Les élections locales de novembre, puis générales en octobre 2019, s’annoncent déterminantes, d’autant que le rejet d’un Frelimo rongé par la corruption est à son comble. La révélation de l’existence de dettes cachées en 2016, qui ont plongé le pays dans une profonde crise économique, a renvoyé l’ex-parti unique dans les abîmes du discrédit. Compte tenu de sa propension aux manipulations électorales, le risque de violences éruptives s’en trouve décuplé.
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