Edoardo Grassi, chef d’orchestre de la stratégie française. / Aurélie Blondel

Si la France a longtemps joué les fantômes à l’Eurovision, elle ne prend désormais plus le sujet à la légère. Et cela paie. Le duo Madame Monsieur et leur chanson Mercy, figurent parmi les favoris de l’édition 2018, organisée à Lisbonne cette semaine. De quoi réjouir Edoardo Grassi, le « Monsieur Eurovision » français. A 31 ans, ce polyglotte passionné par la musique vit son troisième concours en tant que chef de délégation. Une fonction méconnue, pour un rôle central : c’est le chef d’orchestre de la stratégie française. Depuis la capitale portugaise, il revient sur les efforts mis en œuvre pour tenter de décrocher la première place samedi 12 mai.

A quoi sert un chef de délégation ?

Travailler nos relations internationales fut l’une de mes premières tâches à mon arrivée en 2015. Jusqu’ici, notre pays donnait l’impression d’être à l’Eurovision… sans y être. J’ai entamé une tournée en Europe pour rencontrer les chefs de délégation des autres pays, les organisateurs, les producteurs, etc. Du lobbying. J’ai dit à tout le monde : “France is back” [ndlr : la France est de retour]. Etre entendu, aidé par les organisateurs, c’est fondamental. Quand vous avez un problème de caméra sur place, mieux vaut par exemple avoir de bonnes relations avec les producteurs ! Et s’ils nous prennent au sérieux, impossible d’imaginer qu’ils nous fassent de nouveau passer en première place du spectacle – une position peu favorable –, comme ce fut le cas en 2015 avec Lisa Angell. Il était également important pour moi de développer des liens solides avec les blogueurs étrangers, notamment les fameux Wiwibloggs, dont les publications sont très suivies (je connais moins les blogs français, qui n’ont pas une grande visibilité en raison de leur multiplicité). Je voulais qu’on parle de la France, la voir au centre de toutes les attentions à l’Eurovision.

Mon travail comporte aussi tout un volet artistique. Je suis la mise en scène. Depuis notre arrivée à Lisbonne jeudi, nous avons déjà répété à deux reprises à l’Altice Arena. Mon rôle consiste à demander des adaptations à la réalisation afin de faire en sorte que la prestation soit parfaite samedi. Enfin, j’ai une troisième mission clé : la communication.

Le duo Madame Monsieur a été qualifié fin janvier lors de la finale de l’émission « Destination Eurovision », qu’avez-vous justement mis en œuvre pour les faire connaître depuis ?

Nous nous sommes lancés dans une tournée médiatique marathon le jour même. Puis, en février, l’Ukraine les a invités pour sa sélection nationale, ce fut leur premier déplacement à l’étranger. Ils se sont ensuite produits à Paris, au Petit Bain. Et nous avons été de tous les concerts promotionnels importants : Londres, Tel Aviv, Amsterdam, Madrid. [ndlr : ces concerts annuels sont des sortes de mini-Eurovisions, auxquelles participent une partie des candidats de la prochaine édition]. Ils permettent d’entrer en contact avec les fans et les médias. Et de s’entraîner. De mon côté, j’ai participé à trois sélections nationales comme juré, en Finlande, Suisse et Norvège. Cela fait partie aussi du travail diplomatique. Et j’ai réussi à faire passer des extraits du clip de Mercy dans les sélections suisse, allemande et norvégienne.

Le duo Madame Monsieur défendra les couleurs de la France à Lisbonne, le 12 mai. / France 2

Comment devient-on chef de délégation à l’Eurovision ?

J’ai surfé sur la vague des échecs français. J’avais été invité sur place en 2014 et 2015 par Cyril Féraud, qui présentait le concours. J’ai trouvé ça d’une « dinguerie » totale ! Le niveau artistique était très élevé. En revanche, l’événement était abordé par la France de façon désuète. Nous étions en décalage artistique complet par rapport aux autres pays. C’est en les regardant les autres nations que j’ai eu envie de travailler avec la délégation française. Alors, j’ai appelé Nathalie André, la directrice des divertissements de France 2 à l’époque, nous avons petit-déjeuné ensemble à l’été 2015. J’avais élaboré un dossier de 22 pages qui devait à mon sens être la bible de la délégation française. J’y expliquais que notre candidat devait représenter la jeunesse européenne, avoir un profil international, être diffusé par les radios, etc. A la fin de notre entretien, j’étais embauché comme chef de la délégation ! Elle m’a dit “débrouille-toi pour nous présenter un artiste dans deux mois” pour l’édition 2016. J’ai convaincu Amir. Grâce à lui et à sa sixième place, nous avons changé l’image de l’Eurovision en France.

La France choisira-t-elle de nouveau son candidat via un télé-crochet en 2019 ?

J’y suis favorable. Même si je ne crois pas que l’émission influe vraiment sur le résultat. Regardez le succès d’Amir, il n’avait pas été choisi par le public, et pourtant… N’empêche, je pense que passer par un télé-crochet contribue à ancrer la marque Eurovision en France. Cela permet d’afficher notre motivation et de faire parler de ce concours pendant trois mois. Pour la même raison d’ailleurs, j’aimerais que nous participions à l’Eurovision junior à l’avenir.