Film sur Arte à 20 h 50

Blue Jasmine - Bande annonce VF
Durée : 01:44

Blue Jasmine est une tragédie du rire brossée sur fond de faillite financière, avec descriptif aux petits oignons du complexe mental névrotique qui explique l’une et l’autre. En gros, du Molière avec des téléphones, des voitures et une place financière mondiale, le tout écrit dans une version transatlantique de la langue de Shakespeare.

Epouse d’un businessman jonglant avec les millions, membre distinguée de l’élite new-yorkaise, femme au foyer irréprochable, Jasmine (Cate Blanchett) a longtemps plané au-dessus des contingences. Et puis son mari, qui trompait son monde et elle avec, s’est retrouvé un jour derrière les barreaux, tous ses biens étant saisis.

La voici donc qui débarque un beau matin à San Francisco avec sa grosse valise à la main, la superbe un peu en berne, donnant pourtant, par sa beauté et son maintien, encore largement le change. Elle retrouve sa sœur, Ginger (Sally Hawkins), caissière de supermarché. Certes, les deux sœurs, adoptées par les mêmes parents dans leur enfance, ne sont pas vraiment sœurs. Certes, Jasmine fut d’emblée préférée à Ginger. Certes, du temps de la splendeur de Jasmine, Ginger fut reçue avec son mari, avec une politesse si écœurée qu’elle la dissuada de revenir.

Finesse et à-propos

C’est pourtant elle, la prolo de San Francisco, qui lui ouvre sa porte aujourd’hui. Elle n’a pas de rancune, mais surtout bien du mérite. On touche ici à la plus grande réussite du film : le personnage de Jasmine, tel qu’Allen le portraiture avec un flair de fin limier et tel que Cate Blanchett le campe avec un talent plus vrai que nature. Soit une femme enfermée dans la bulle qui pourtant vient de lui éclater au nez, incapable d’admettre sa déchéance et plus encore de se confronter au monde réel.

Peter Sarsgaard et Cate Blanchett. / © TF1 International

Bourrée d’antidépresseurs, capable de raconter toute sa vie à des inconnus, elle s’invente au jour le jour un manuel de survie en milieu hostile (la vraie vie), fait d’accommodements qui la crucifient et de mensonges pathologiques à répétition. Par-dessus tout, forte d’une expérience conjugale qui devrait pourtant l’encourager au silence éternel, elle se met en devoir de régenter la vie sentimentale de sa sœur. Chili, l’actuel boyfriend de Ginger, qui la traite certes cavalièrement mais l’aime d’un amour pur, n’a pas l’heur de plaire à Jasmine. En même temps qu’elle lui conseille de rompre avec ce garagiste, elle l’encourage à de nouvelles rencontres. Mais Jasmine travaille aussi pour sa propre cause et met le grappin sur un jeune veuf, diplomate et riche héritier.

Deux formidables atouts restent à porter au crédit du film. D’abord, la soustraction du personnage de Jasmine à la caricature qu’il pourrait inspirer. Ensuite, la mise en scène pleine de finesse et d’à-propos. Car les événements de ce film se juxtaposent en permanence dans un jeu d’allers-retours entre le présent (San Francisco) et le passé (New York), qui donne sa profondeur au récit en même temps que son ironie savoureuse. Chaque réminiscence révélant l’écart entre la cruelle vérité des faits et la manière dont Jasmine les délire. Car ce personnage délire bel et bien et ne se sent que très peu concerné par le sort commun, tant au regard de ses obligations que de ses afflictions. Voici, en un mot, quelqu’un qui semble habiter une autre planète. Telle est la contribution tragicomique de Woody Allen à la compréhension du système actuel : montrer que la rupture qui sépare les super-riches de leurs semblables devient quasiment anthropologique.

Blue Jasmine, de Woody Allen. Avec Cate Blanchett, Alec Baldwin, Sally Hawkins, Louis C. K. (EU, 2013, 98 min).