Wanuri Kahiu : « Avec “Rafiki”, j’ai voulu raconter une belle histoire d’amour africaine »
Wanuri Kahiu : « Avec “Rafiki”, j’ai voulu raconter une belle histoire d’amour africaine »
Propos recueillis par Marion Douet (Nairobi, correspondance)
« Rafiki » est le premier film kényan présenté à Cannes. Pour sa réalisatrice, ce grand moment est assombri par l’interdiction du film au Kenya.
Wanuri Kahiu, la réalisatrice de « Rafiki » (ami en swahili), premier film kényan présenté au Festival de Cannes. / BEN CURTIS/AP
Rafiki (ami en swahili), le deuxième long-métrage de la Kényane Wanuri Kahiu, sera présenté au Festival de Cannes mercredi 9 mai dans la sélection Un certain regard. Le film qui raconte une histoire d’amour lesbien a été interdit dans son pays. L’ancienne étudiante de l’université californienne UCLA se défend d’être une militante LGBT. A 38 ans, elle se revendique avant tout comme une cinéaste qui veut promouvoir des histoires africaines « belles et positives ». Rafiki lui a été inspirée par la nouvelle Jambula Tree de l’auteure ougandaise Monica Arac de Nyeko.
Votre deuxième long-métrage « Rafiki » sera projeté à Cannes le 9 mai. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?
C’est un honneur immense. Et être le premier film kényan diffusé là-bas, c’est énorme. Cela représente quelque chose d’important pour les acteurs, l’équipe, mais aussi pour tout le cinéma kényan.
« Rafiki » met en scène deux jeunes femmes de Nairobi qui sont amies et tombent amoureuses. Ce thème avait de grandes chances de poser problème au Kenya, où l’homosexualité est taboue. Pourquoi avez-vous choisi de le traiter ?
Je cherchais un livre à adapter dans la littérature africaine moderne. J’ai lu Jambula Tree [une nouvelle de l’auteure ougandaise Monica Arac de Nyeko], et c’est juste le meilleur bouquin que j’ai lu ces dernières années. C’était une histoire d’amour tellement belle que j’ai voulu la raconter.
Aviez-vous espoir que cette histoire d’amour entre deux femmes soit autorisée dans les cinémas ?
La possibilité d’être censuré existait. Les autorités ont approuvé le tournage, à Nairobi. La Commission [de censure, qui donne l’autorisation de diffuser les films au Kenya] était très enthousiaste à propos du film. Son directeur, Ezekiel Mutua, a même dit dans une interview qu’il était très important de réfléchir à la société, que ces choses-là arrivent et que nous ne pouvons pas les ignorer. Mais la Commission a interdit le film [parce qu’il « légitime l’homosexualité », selon un communiqué publié par l’autorité]. De plus, nous demandions une autorisation pour les plus de 18 ans. Je suis déçue que l’on n’ait pas suffisamment confiance dans le public kényan adulte pour l’estimer capable de voir ce film.
Avant « Rafiki », votre film « From a Whisper » racontait l’histoire d’une jeune fille qui perd sa mère dans les attentats de Nairobi en 1998, et votre court-métrage « Pumzi » était plutôt sur un registre de science-fiction. Des thèmes très différents…
En règle générale, j’aime parler des femmes. Elles sont toujours les personnages principaux de mes films, dans toute leur complexité. Je tiens aussi à voir la beauté, le positif. J’ai récemment participé à la création du collectif AfroBubbleGum qui promeut un art africain drôle, espiègle et léger. L’espoir en Afrique, c’est ce que nous voulons créer.
Que reprochez-vous au cinéma africain ?
La plupart du temps, le continent est dépeint comme un endroit frappé par la maladie, la guerre, la destruction. Il y en a mais il y a aussi beaucoup de joie, d’espoir, de grandeur et de positivité. C’est pourquoi je voulais raconter une histoire qui vienne changer cette image. Il est fondamental que l’Afrique montre des histoires d’amour auxquelles s’identifier. Il est temps que nous nous voyons comme doux, tendres, enjoués, généreux, joyeux…
Vous avez étudié à Los Angeles où l’industrie du cinéma est gigantesque. Que manque-t-il au Kenya pour que ce secteur se développe, comme au Nigeria par exemple ?
Ce qui est incroyable avec le Nigeria, c’est qu’il est parvenu à faire du cinéma l’une des premières sources de revenus du pays. Grâce à l’investissement privé. Le Kenya a besoin de cela – et bien sûr d’un plus grand soutien du gouvernement ! Non seulement parce que c’est une source de revenus, d’emplois, de compétences, mais aussi parce que cela attire les visiteurs. Au-delà du cinéma en lui-même, la portée est immense pour un pays, notamment pour d’autres industries comme le tourisme.
« Rafiki » sera-t-il diffusé dans d’autres pays africains, en Europe ?
Nous savons qu’après Cannes il serait projeté à Paris, mais je ne sais pas ce qui va se passer ailleurs. J’aimerais beaucoup, bien sûr, qu’il soit visible dans d’autres pays d’Afrique.