Jean-Paul Gaultier, le plus haute couture des fans de l’Eurovision, à Lisbonne. / AURÉLIE BLONDEL/« LE MONDE »

Le point commun entre Amina, les Fatals Picards, Anggun, Dana International et Anna Vissi ? Tous ces artistes ont participé à l’Eurovision dans une tenue signée Jean-Paul Gaultier. Désormais s’ajoute à cette liste le duo pop Madame Monsieur, qui représentera la France lors de la 63e édition du concours, organisée au Portugal samedi 12 mai. Depuis Lisbonne, le plus haute couture des fans de l’Eurovision revient sur sa passion et sa rencontre avec Emilie Satt et Jean-Karl Lucas.

Pourquoi avez-vous proposé à Madame Monsieur de les habiller ?

En janvier, j’ai suivi « Destination Eurovision », l’émission dans laquelle ils se sont qualifiés pour le concours. Leur chanson m’a séduit. C’est fabuleux d’oser choisir un thème comme celui-ci [le titre Mercy relate la naissance d’un bébé à bord d’un bateau humanitaire]. Et leur look, « pull noir pantalon noir », était parfait. Tellement anti-Eurovision ! Le lendemain de leur victoire, j’étais invité à « 20 h 30 le dimanche », programme animé par Laurent Delahousse sur France 2, où ils se trouvaient également. Je leur ai témoigné toute mon admiration et leur ai dit que j’aimerais les habiller, en restant bien sûr dans leur style. On me connaît pour mon côté baroque, mais j’ai aussi ce côté chic parisien, sobre pur.

Madame Monsieur lors des répétitions à Lisbonne, le 9 mai. / ARMANDO FRANCA/AP

Comment avez-vous imaginé leur tenue ?

Je suis parti de l’idée du pull et du pantalon noirs, pour me demander s’il n’y avait pas, dans ce que j’avais déjà fait, un vêtement qui leur correspondait. C’est là que j’ai pensé à mon pantalon-jupe, avec le rabat en portefeuille. Parfait pour l’homme comme pour la femme…

Quand ils sont venus chez moi pour une séance photo, ils sont tombés sur une casaque en crêpe blanche avec une emmanchure spéciale, noire. J’ai vu les yeux d’Emilie briller, je me suis dit « c’est cela qu’il lui faut », et j’ai réalisé pour elle cette manche noire de la casaque, dans la même matière que son pantalon-jupe. Cela lui donne une carrure assez années 1980, tout à fait à la mode. Pour lui, c’est juste un col roulé noir. Il y a une unité, aucune extravagance. Côté chaussures, les baskets rouges qu’ils avaient choisies étaient très bien, elles désamorcent le côté chic de la tenue. J’ai pensé à ajouter une guitare rouge pour Jean-Karl, assortir sa guitare à ses baskets, c’est tellement chic !

Vous êtes fan de l’Eurovision…

Totalement ! Depuis Tom Pillibi en 1960, interprété par Jacqueline Boyer – j’avais 8 ans –, j’ai regardé tous les ans. Souvent entre amis, nous distribuons nos points. Nana Mouskouri, Céline Dion, Abba, France Gall, Sandy Shaw la chanteuse aux pieds nus (les détails comptent à l’Eurovision) : je les ai toutes regardées. Et j’ai vu le monde de la mode évoluer à travers le concours.

J’ai notamment réalisé la robe que Dana International portait après avoir remporté le concours en 1998, à la fin du spectacle, au moment de recevoir son prix et de rechanter sa chanson. Souvenez-vous, c’était le boléro à plumes de perroquet de ma première collection haute couture, de 1997. Elle n’avait pas pu le porter durant sa prestation car apparemment, cela faisait du bruit dans le micro quand elle bougeait.

Dana International et son boléro à plumes de perroquet signé Jean Paul Gaultier en 1998. / EUROVISION

Quel regard portez-vous sur l’Eurovision d’aujourd’hui ?

La victoire du chanteur portugais l’an dernier, avec un titre très sobre, pas du tout « Eurovision », a ouvert une nouvelle voie. Dans les années 1960 et 1970, les chansons du concours parlaient de leur époque, du monde qui nous entourait, mais dans les années 1980 et 1990, les titres présentés se sont faits plus festifs, stéréotypés, formatés. Trop « dance club ». Cette sublime chanson portugaise de 2017 laisse entrevoir un changement de registre qu’on avait déjà pressenti les années précédentes, par exemple avec le Belge Loïc Nottet en 2015. Son approche était déjà très minimaliste.

Que pensez-vous des tenues des principales concurrentes de la France, Netta (Israël) et Eleni Foureira (Chypre) ?

Kitschissime ! Israël, c’est un kitsch amusant, Chypre, un kitsch exagérément sexy. Mais cette année, il y a aussi l’immense robe de l’Estonie, sur laquelle sont projetées des images – j’avais fait ça une fois pour Yvette Horner. Vu d’en haut, c’est magnifique ! L’Eurovision, ça fait parfois too much, mais c’est ça qui est drôle. C’est bien qu’il y ait cela aussi, pour le spectacle.