La ministre de la culture Françoise Nyssen avec l’actrice iranienne Behnaz Jafari (qui joue dans le film en compétition, « Trois visages », de Jafar Panahi) à Cannes, le 12 mai 2018. / LOIC VENANCE/AFP

En France, la réponse à l’affaire Weinstein sera d’ordre sociétale, et financière. Dans un discours prononcé à Cannes, lundi 14 mai, la ministre de la culture invite le cinéma à faire sa « révolution », rien de moins. Huit mois après la révélation du scandale des agressions sexuelles, Françoise Nyssen fait ce constat : « Le plus terrible, est-ce la révélation d’une affaire, la dénonciation d’un porc ? Non, le plus terrible, c’est l’autre révélation. Le tout le monde savait, la description d’une omerta, d’un monde idéalisé qui n’échappe pas à la loi des petits milieux, des comportements vils où chacun tient l’autre, coopte l’autre, intimide l’autre ».

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Le Festival s’est ouvert, mardi 8 mai, avec le film d’Asghar Farhadi, Everyboby Knows. Il se prolonge aujourd’hui avec cette phrase de Françoise Nyssen – « Tout le monde savait » soit Everybody Knew – prononcée devant des féministes venues de nombreux pays. C’est en effet aujourd’hui que se réunissent à Cannes différents mouvements paritaires, créés aux Etats-Unis, en Angleterre, en Espagne, en Italie, etc., à l’initiative du mouvement français 50/50 en 2020 – lequel a été fondé par des réalisatrices et par l’association Deuxième regard.

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La ministre fait le pari de la résilience : transformons une souffrance, un mal, en une action forte et positive. « Faisons de Weinstein une opportunité pour le cinéma, la chance de devenir avant-gardiste, précurseur, la chance d’être révolutionnaire. Une révolution, c’est un irréversible. Cette révolution reste à faire, dans l’ensemble de la société. Le cinéma doit réussir la sienne. » Elle ajoute : « J’ai décidé d’agir. D’actionner tous les leviers qui sont à ma portée. Sans attendre ». Les artbitrages ont été faits dans les tout derniers jours et tout n’est pas réglé. Mais le message est clair : la ministre entend répondre à celles et ceux qui trouvaient jusque-là bien timides les réponses aux fortes inégalités qui persistent entre les femmes et les hommes dans le cinéma.

Pas de critère d’âge

La mesure la plus novatrice est la création d’un fonds spécifique pour les femmes, dans le cinéma. Une initiative qui reste à préciser : « Je vais créer un fonds de dotation en France pour soutenir de jeunes réalisatrices du monde entier (…). En France, le budget moyen d’un film réalisé par une femme s’élève à 2,6 millions d’euros contre 6,5 millions pour le film d’un homme. Un écart de 60 %. Une honte pour les financeurs privés. Une honte pour les institutions publiques », s’indigne la ministre. Dans l’entourage de Françoise Nyssen, on s’empresse de préciser qu’il n’y aura certainement pas de critère d’âge pour bénéficier de ce fonds – contrairement à ce que laisse penser son discours. Pour les réalisatrices, en effet, le plus difficile n’est pas de faire le premier ou le deuxième film, mais le troisième ou le quatrième. A ce stade, il est rare d’avoir 25 ou 30 ans…

Le montant de ce fonds pour les femmes n’est pas non plus précisé. Matignon n’a pas encore rendu son arbitrage. « Ce fonds sera doté par l’Etat à travers une contribution du CNC, Centre national du cinéma et de l’image animée, et consolidé par des mécènes. On va tout particulièrement solliciter les partenaires du Festival de Cannes, afin qu’ils abondent ce fonds. Idéalement, on souhaite que le dispositif soit opérationnel en septembre et que les premières candidatures puissent parvenir fin 2018 », ajoute-t-on rue de Valois. Ce fonds pourrait par ailleurs bénéficier aux productrices et aux femmes scénaristes, en plus des réalisatrices.

« Parvenir à la parfaite parité »

Les autres mesures étaient déjà connues. Fin juin, des « Assises de l’égalité femmes-hommes dans le cinéma » seront organisées à Paris, afin d’aboutir à des « mesures concrètes » dans six domaines : la formation ; l’égalité salariale ; la prévention du harcèlement ; l’accès aux postes de direction ; la lutte contre les stéréotypes ; et la promotion de la parité par la régulation. L’objectif, ajoute la ministre, est de parvenir à une « Charte de l’égalité entre les femmes et les hommes dans le cinéma » signée par les professionnels. « L’adhésion à cette Charte et aux engagements qu’elle définira sera une condition d’attribution des aides du CNC. En parallèle, je souhaite qu’un système de bonus soit mis en place pour soutenir les films dont les équipes sont exemplaires en matière de parité. »

Enfin, la ministre estime que les festivals doivent s’engager. Ce lundi 14 mai, les directeurs des différentes sections cannoises devaient signer une « Charte des festivals internationaux de cinéma », laquelle engage ses signataires à la « transparence sur les dossiers déposés et sur les mécanismes de sélection ». Les festivals signataires s’engagent aussi « à parvenir à la parfaite parité dans leurs instances dirigeantes d’ici la fin de leur mandat ». Cinquante ans après le Mai-68 cannois, la ministre pose son empreinte : mai 2018.

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Sur le Web : www.culture.gouv.fr