Comité d’accueil pour l’arrivée en gare de Djibouti, le 3 janvier 2018, du premier train commercial de la ligne de chemin de fer avec l’Ethiopie, réalisée par des entreprises chinoises et partiellement financée par la Banque chinoise d’import-export. / HOUSSEIN HERSI / AFP

Le Kenya est le dernier pays africain en date à adhérer à la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (BAII), chargée de financer les projets chinois dans le cadre des « nouvelles routes de la soie ». L’Egypte et l’Ethiopie font déjà partie des 86 pays membres de cette institution née en janvier 2016 et dirigée par la Chine. Nairobi pourra désormais profiter de ses deniers. Mais pour le Kenya, le risque de voir sa dette publique, déjà très importante, exploser est préoccupant.

« Ce fardeau reste lourd pour le Kenya et les prêts chinois peuvent le rendre insoutenable », prévient Apurva Sanghi, ancien économiste en chef de la Banque mondiale pour plusieurs pays d’Afrique de l’Est, dont le Kenya.

Selon l’agence de notation Moody’s, le risque de « stress financier » va s’accroître au début de la prochaine décennie… La Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) tirent également la sonnette d’alarme. La directrice générale du FMI a mis en garde le mois dernier contre le piège de l’endettement. Christine Lagarde s’exprimait à Pékin à l’occasion d’un forum sur les « nouvelles routes de la soie », le colossal plan lancé en 2013 par le président chinois, Xi Jinping, pour déployer routes, ports, voies ferrées et parcs industriels à travers le monde. Il ne faut pas que les pays acceptant d’accueillir certains de ces chantiers aient le sentiment que « c’est un repas gratuit », a-t-elle observé, plaidant pour des investissements plus collectifs et une gestion plus attentive.

« Ni un plan Marshall, ni un complot chinois »

Il faut dire que les conditions posées par Pékin – ou plutôt l’absence de conditions – sont séduisantes : pas de contrepartie politique, pas ou peu de contrôle de la corruption, pas d’obligation de privatisation… On est loin de la feuille de route imposée par l’Occident, le FMI et la Banque mondiale.

Christine Lagarde a plaidé pour la mise en place d’une agence commune de la Chine et du FMI afin de s’assurer de la pérennité des financements. Mais Pékin devrait continuer à jouer en solo. Vitrine de la politique étrangère mise en place par Xi Jinping en 2013, ce projet constitue en effet un symbole fort. « Il ne s’agit ni d’un plan Marshall, ni d’un complot chinois, s’est ainsi défendu le chef d’Etat. Il s’agit d’une initiative suivant son cours en pleine lumière. »

Pourtant, même dans son pays, on commence à s’inquiéter des possibles dérapages. L’économiste Li Ruogu, ancien président de la Banque chinoise d’import-export (Exim Bank), explique que « peu d’Etats africains ont la capacité de rembourser les sommes prêtées dans le cadre ». La plupart des projets sont actuellement financés par la seule Chine, via la BAII, la Banque chinoise de développement, l’Exim Bank et le Fonds des routes de la soie. Mais il manque encore 500 millions de dollars (près de 420 millions d’euros) par an pour faire face au coût des chantiers, ce qui pousse Pékin à puiser dans son portefeuille et à assouplir les conditions de ses prêts, quitte à refroidir d’autres investisseurs qui auraient pu participer à ce grand projet.

Premier créancier bilatéral

La dette publique en Afrique subsaharienne représentait 45 % du PIB fin 2017, en hausse de 40 % en trois ans ! Dans son dernier rapport, la Banque mondiale considère que 11 des 35 pays à faible revenu de la zone présentent un haut risque de surendettement. Et la Chine est leur premier créancier : près de 70 % de la dette publique bilatérale camerounaise sont détenus par Pékin. Même situation au Kenya, où la dette publique a régulièrement augmenté, passant de 43,1 % du PIB en 2011 à 54,1 % en 2016.

En janvier 2017, le Mozambique s’est déclaré en défaut de paiement. Le gouvernement a été contraint de dévoiler l’existence d’une dette occultée de 1,8 milliard d’euros, souscrite par les entreprises publiques. La Chine a déjà effacé une partie de l’ardoise…

Au Congo, l’inauguration à Brazzaville du siège de la Banque sino-congolaise pour l’Afrique (BSCA-Bank), fruit de la coopération avec la Chine – auprès de laquelle ce pays a contracté une partie de sa lourde dette publique qui inquiète tant le FMI –, est un autre exemple. La construction de cet immeuble de quinze étages, d’un coût de 53 millions d’euros, a été entièrement financée par « l’argent du pétrole congolais », a indiqué Rigobert-Roger Andely, président du conseil d’administration de la BSCA-Bank. Brazzaville et Pékin ont signé un partenariat de stratégie économique qui a permis à la Chine de préfinancer plusieurs projets d’infrastructures, augmentant du même coup la dette du Congo, estimée par le FMI à 117 % de son PIB. Après avoir masqué une partie de ses emprunts, le pays d’Afrique centrale a repris des négociations avec l’institution.

La situation n’est guère meilleure au Nigeria, où le service de la dette absorbe 60 % des recettes de l’Etat, pénalisant les investissements publics. Même tableau au Ghana, en Angola et en Zambie…

Sans mettre en doute les bienfaits de certains travaux d’infrastructures entrepris sur le continent, Pékin doit aujourd’hui s’interroger sur leur financement. Le banquier de l’Afrique pourrait ainsi revenir sur sa politique de crédit trop facile. La question sera à l’ordre du jour lors du prochain forum Chine-Afrique, à Pékin en septembre.

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica. info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.