Pollution de l’air : Bruxelles renvoie la France devant la Cour de justice de l’Union européenne
Pollution de l’air : Bruxelles renvoie la France devant la Cour de justice de l’Union européenne
Par Stéphane Mandard
La France était dans le viseur de Bruxelles depuis près de dix ans pour non-respect de la directive européenne de 2008 sur la qualité de l’air.
Action pour dénoncer la pollution de l’air, place de la Concorde, à Paris, le 31 mars 2018. / JACQUES DEMARTHON / AFP
La menace planait depuis plusieurs mois. La Commission européenne l’a mise a exécution, jeudi 17 mai, en annonçant sa décision de renvoyer la France devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour non-respect des normes de qualité de l’air. Des neuf Etats faisant l’objet d’une procédure d’infraction, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie, la Hongrie et la Roumanie subissent le même sort. L’Espagne, la Slovaquie et la République tchèque échappent à la punition mais restent sous surveillance, indique-t-on à Bruxelles.
Des sources proches de la Commission confient au Monde que si « la France a fait des efforts, la situation reste très préoccupante dans douze zones soumises à des niveaux de dioxyde d’azote (NO2) très élevés ».
Gaz très toxique, le NO2 a été rendu célèbre par le scandale du « dieselgate ». Quant aux enquêtes qui ont été lancées sur les constructeurs fraudeurs (Volkswagen et Fiat notamment), la Commission demande officiellement à l’Allemagne et à l’Italie d’accélérer.
Urgence sanitaire
Après des années d’avertissements et d’ultimatums sans lendemain, Bruxelles a décidé de taper du poing sur la table. Pour une raison principale : l’urgence sanitaire. Le dernier rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), publié au début du mois, rappelle que la pollution de l’air tue environ 500 000 personnes en Europe chaque année, dont 48 000 en France.
La Commission reproche aux Etats cancres des dépassements répétés des valeurs limites (fixées à 40 µg/m3 en moyenne annuelle) des émissions de particules fines PM10 (de diamètre inférieur à 10 micromètres) et de dioxyde d’azote (NO2).
Cette décision n’est pas une surprise pour le gouvernement. La France est dans le viseur de Bruxelles depuis près de dix ans pour non-respect de la directive européenne de 2008 sur la qualité de l’air. La première mise en demeure remonte à 2009. D’autres ont suivi en 2010, 2011, 2013, 2015 et 2017.
A chaque fois, le législateur européen martelait les mêmes griefs : « La France n’a pas pris les mesures qui auraient dû être mises en place depuis 2005 [pour les PM10, et 2010 pour les NO2] pour protéger la santé des citoyens, et il lui est demandé d’engager des actions rapides et efficaces pour mettre un terme aussi vite que possible à cette situation de non-conformité. » Et à chaque fois, il brandissait la même menace : « Si la France n’agit pas dans les deux mois, la Commission peut décider de porter l’affaire devant la Cour de justice de l’UE. »
« Feuilles de route » pour les quatorze zones concernées
Le 30 janvier, le commissaire à l’environnement, Karmenu Vella, avait convoqué le ministre de la transition écologique, Nicolas Hulot, et ses collègues européens à un sommet de la « dernière chance » à Bruxelles. « Nous sommes à la fin d’une longue période – trop longue diront certains – d’offre d’aide, de conseils et d’avertissements », avait tonné M. Vella avant de leur accorder un ultime délai (mi-février) pour présenter des plans d’actions susceptibles de réduire la pollution de l’air dans les meilleurs délais.
Enjoint également par le Conseil d’Etat de transmettre un tel plan à la Commission avant le 31 mars, M. Hulot avait présenté le 13 avril les « feuilles de route » des quatorze zones concernées par des dépassements des normes : Ile-de-France, Marseille, Nice, Toulon, Lyon, Grenoble, Saint-Etienne, Valence, vallée de l’Arve, Strasbourg, Reims, Montpellier, Toulouse et la Martinique.
Sans mesures radicales et se contentant souvent d’empiler des dispositifs déjà existants, ces feuilles de routes ont été jugées insuffisantes par la Commission européenne. Au ministère de la transition écologique, on rappelle que la situation actuelle est « l’héritage de dizaines d’années où nous avons privilégié la voiture, le transport routier, au détriment des solutions écologiques », et on veut croire que la future loi sur les mobilités permettra de rectifier le tir et de « sortir au plus vite de ce contentieux ». Dans l’entourage de Nicolas Hulot, on fait aussi remarquer que « l’argent serait plus utile pour lutter contre la pollution que pour payer des amendes ».
Seuls deux pays ont été condamnés
Car la décision de Bruxelles de saisir la CJUE expose la France à une menace financière. Les textes prévoient une sanction d’au moins 11 millions d’euros et des astreintes journalières d’au moins 240 000 euros jusqu’à ce que les normes de qualité de l’air soient respectées. Mais entre la saisine et la condamnation, la procédure peut encore durer plusieurs années. Prochaine étape, la CJUE prononce un arrêt en manquement. La Commission est alors chargée d’exécuter l’arrêt. Si la France est toujours dans l’incapacité de respecter la directive de 2008, la Commission saisira de nouveau la CJUE. Les juges pourront alors prononcer une condamnation financière.
Jusqu’à présent, seuls deux pays ont été condamnés par la CJUE pour avoir exposé leurs citoyens à un air trop pollué : la Pologne en février et la Bulgarie en avril 2017. Mais pour l’heure, ils ont échappé à une amende, ce qui pourrait aussi être le cas de la France. En 2013, elle avait été condamné par la CJUE sur un autre dossier de pollution, celui des excès de nitrates dans ses eaux, en violation d’une réglementation de 1991. Depuis, l’état de ses rivières s’est légèrement amélioré et la menace d’une amende s’est dissipée.