Cannes 2018 : avec « In My Room », Ulrich Köhler transforme un loser en Robinson
Cannes 2018 : avec « In My Room », Ulrich Köhler transforme un loser en Robinson
Par Véronique Cauhapé
Le quatrième long-métrage du cinéaste allemand plonge son héros dans un monde post-apocalyptique, où il apprend à survivre.
Il faut reconnaître qu’Armin (Hans Löw), héros à la quarantaine triste du quatrième long-métrage d’Ulrich Köhler, In My Room, présente au premier abord une bonne allure de loser. En témoignent les premiers plans du film qui nous proviennent, en plans subjectifs, de la caméra du fameux Armin, en train de tourner pour une chaîne de télévision. Des images ni faites ni à faire dont le rythme convulsif et les va-et-vient du sol au plafond donnent le tournis. En mode pause quand il devrait enregistrer, et inversement, Armin ne s’en sort pas.
Un peu plus tard, après une sortie nocturne, une jeune fille ramenée chez lui qui semble dans de bonnes dispositions, le plante comme un pauvre hère. La suite n’est guère plus reluisante, qui le conduit chez son père, au chevet de sa grand-mère agonisante.
La première partie du film épouse l’esthétique d’un réalisme qui ne nous épargne rien. Ni l’aspect crasse de l’appartement d’Armin ni le teint grisâtre de l’intéressé, pas plus que les scènes aux toilettes, les râles à fendre le cœur de la grand-mère et, après son passage à trépas, la laborieuse remise en place de son dentier, par son fils et son petit-fils. In My Room installe cette atmosphère en nous faisant croire au pire et craindre l’ennui, la poisse et la désespérance ayant déjà eu raison de nous, à cet endroit du film.
Mais voilà que survient l’impensable, un monde entièrement vidé de ses habitants, qui nous parvient à travers le pare-brise de la voiture d’Armin. Sur l’asphalte gisent des motos et scooters dont les conducteurs se sont volatilisés, comme tous les êtres humains alentour. Seuls quelques animaux ont réussi à sauver leur peau. Ce retournement de situation fournit à Ulrich Köhler une belle occasion d’ouvrir son film à de plus grands espaces et à plus de lumière, puis, en un clin d’œil, de transformer son antihéros en un Robinson Crusoé de temps modernes révolus.
Un univers sensoriel
Désormais seul et libéré des contraintes sociales qui l’autorisent à un nouveau départ, Armin choisit en effet d’investir une ferme à la campagne, sorte d’éden où coule une rivière, vivent poules, chevaux et chèvres. Rescapé de la fin de l’humanité, sorte d’Adam à qui aurait été donnée l’arche de Noë, il renaît en premier homme (qui serait le dernier). Il se met à l’ouvrage, son corps hier avachi s’affine et se muscle, il cultive la terre, chasse, lui, autrefois maladroit, se révèle habile bricoleur, goûtant sans regret cette nouvelle vie sédentaire. Mais, quand un jour débarque, venue d’on ne sait où, la jolie nomade Kirsi (Elena Radonicich), l’idée d’un avenir à construire à travers l’arrivée possible d’un enfant se met à occuper son esprit. Adam et Eve unis pour la création d’un nouveau monde, pourquoi pas.
Il serait dommage d’en dire plus tant la magie qui opère alors tient à des éléments dont chaque spectateur peut espérer tirer des sensations propres. Car, dans ce mouvement de bascule qu’exécute à mi-chemin de sa narration In My Room, se niche quelque chose d’indéfinissable, d’aussi vaste que le champ des possibles auquel succombe Armin en pensée, et sur lequel se termine le film, en toute invraisemblance, mais qu’importe. Parce que l’aventure à laquelle invite le film trace le chemin vers une forme de poésie qui se moque bien du rationnel. Et, au bout du compte, Ulrich Köhler nous aura menés d’un monde réel à un univers sensoriel, dans un univers où tout pourrait être fini et recommencer.
In My Room trailer official from Cannes
Durée : 01:15
Film allemand d’Ulrich Köhler. Avec Hans Löw, Elena Radonicich, Michael Wittenborn (1 h 59). Sortie en salle prochainement. Sur le Web : www.pandorafilm.com/filmography/in-my-room.html et www.festival-cannes.com/fr/festival/films/in-my-room