Cannes 2018 : « Les Morts et les autres », tropicales funérailles
Cannes 2018 : « Les Morts et les autres », tropicales funérailles
Par Clarisse Fabre
Entre film ethnographique et essai expérimental, le long-métrage de Renée Nader Messora et João Salaviza a reçu le prix spécial du jury d’Un certain regard.
De droite à gauche : João Salaviza, Renée Nader Messora, Henrique Ihjac Kraho, Koto Kraho et Vitor Aratanha sur l’une des terrasses du Palais des festivals à Cannes, le 16 mai 2018. / STEPHAN VANFLETEREN POUR « LE MONDE »
C’est un peu comme si Jean Rouch avait rencontré le Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, révélé à Cannes en 2004, avec Tropical Malady en compétition officielle. L’ethnographie croiserait l’essai expérimental, le document sans voix off laisserait toute la place à l’imaginaire. Le film de la Brésilienne Renée Nader Messora et du Portugais João Salaviza, Les Morts et les autres (Chuva é cantoria na aldeia dos mortos), a la beauté d’un songe. Un rêve éveillé au cœur de la forêt brésilienne, filmé en pellicule pour ne jamais l’oublier. Est-ce vraiment un film qui vient de recevoir le prix spécial du jury d’Un certain regard, vendredi 18 mai ? Les deux cinéastes définissent Les Morts et les autres comme « un rituel de cinéma qui croise le rituel des indigènes kraho », au Nord du Brésil.
The Dead and the Others new clip official from Cannes 1/3
Durée : 01:37
Originaire de Sao Paolo, Renée Nader Messora, 38 ans, travaille depuis 2009 avec la communauté kraho, qu’elle a découverte dans le grand village de Pedra Branca. Engagée à ses côtés, elle a étudié ses coutumes, sa fragilité, ses difficultés à protéger un territoire sans cesse menacé. Le long-métrage Les Morts et les autres a pris forme lorsqu’elle y est retournée en 2016 avec João Salaviza, jeune auteur de 34 ans, qui a signé un premier long-métrage remarqué, Montanha (2016). Le tournage a duré neuf mois, du printemps 2016 à l’hiver 2017. Le temps nécessaire pour enregistrer une mémoire et des gestes rituels que les jeunes générations redoutent de perdre. La confiance s’est installée entre les filmeurs et les filmés.
Grande poésie visuelle
Une histoire se noue, à un moment très particulier pour les Kraho, celui de la préparation d’un rite funéraire. Henrique Ihjac Kraho, jeune indigène, fait des cauchemars depuis qu’il a perdu son père. La fête funéraire doit permettre à l’esprit de son père de rejoindre les morts.
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Durée : 01:36
Les premières minutes du film sont d’une grande poésie visuelle. Ihjac marche entre chien et loup, sous les feuilles des arbres dont l’ombre impressionne son dos. Il entend un chant lointain et c’est la voix de son père qui l’appelle, et le rapproche de la cascade. Cette ouverture onirique nous rappelle que, dans cette communauté animiste, chaque élément, objet, animal, pierre, etc., est doté d’une conscience ou d’une âme.
Ihjac vit avec sa compagne Koto, et leur petit enfant qui pleure souvent. On est dans l’intimité familiale, on partage leurs tourments. Au-delà du documentaire, les deux cinéastes ont pu faire de la mise en scène, installer la caméra, filmer des dialogues préparés. Directrice de la photographie, Renée Nader Messora signe une image émeraude, limpide comme l’eau dans laquelle se reflète le visage d’Ihjac, moment magique de cinéma. Ihjac se sent interpellé : doit-il devenir chaman ? Il se sent malade et part « à la ville » pour consulter un médecin. Un autre monde pour lui, qu’il ne tardera pas à quitter…
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Durée : 01:46
Film brésilien et portugais de Renée Nader Messora et João Salaviza (1 h 54). Sur le Web : www.facebook.com/entrefilmes et www.festival-cannes.com/fr/festival/films/chuva-e-cantoria-na-aldeia-dos-mortos