A Dakar, la vie de galère des étudiants
A Dakar, la vie de galère des étudiants
Par Salma Niasse (Dakar, contributrice Le Monde Afrique)
Alors qu’un retard dans le versement des bourses a donné lieu à de violentes manifestations, de jeunes Sénégalais racontent leur quotidien au « Monde Afrique »
A Dakar, l’université Cheikh-Anta-Diop (UCAD) porte encore les stigmates des affrontements qui ont opposé étudiants et forces de l’ordre mardi 15 et mercredi 16 mai. Les pierres et les douilles de bombes lacrymogènes qui jonchent le sol, mais aussi les pansements que portent certains étudiants, sont là pour en témoigner. De violents heurts ont éclaté dans plusieurs campus du Sénégal après la mort d’un étudiant de l’université Gaston-Berger, à Saint-Louis, le 15 mai. Le jeune homme protestait contre le retard pris dans le paiement des bourses, un des nombreux problèmes qui compliquent les conditions de vie des étudiants sénégalais.
Logé au pavillon S du campus de l’UCAD, dans une chambre de 12 m2 qu’il partage avec dix camarades, Omar Sakho, étudiant en deuxième année de droit, s’improvise guide des lieux. A l’entrée, le mur de la salle de bain est en parpaings. La serrure de la porte est cassée, tout comme le lavabo au-dessus duquel est étendu le linge. Au sol, plusieurs seaux d’eau sont là pour rappeler que le kit de douche doit encore être installé. « On l’a signalé au COUD [le Centre des œuvres universitaires de Dakar], qui a envoyé quelqu’un pour faire le constat. Les réparations devraient bientôt être faites », relate le jeune homme, sans se plaindre. Car il le sait, il fait partie des chanceux qui possèdent une salle de bain « individuelle ».
Côté chambre, les étudiants disposent du strict nécessaire. Entre les deux armoires de rangement, un petit bureau en dur, avec son plan de travail carrelé, fait face à la fenêtre. Le COUD a fourni deux lits, auxquels les étudiants ont ajouté deux matelas ainsi qu’un lit superposé en bois. Le soir venu, Omar Sakho et ses partenaires de chambrée dorment à deux sur chaque couchette. « On a des camarades qui n’ont pas de chambre, qui viennent de province et n’ont pas d’endroit où aller. On est obligé de les accepter, raconte Mariama Sadio Diallo, en deuxième année de lettres modernes. Et parfois, ces camarades en ramènent d’autres, et ainsi de suite… »
« Les meilleurs redoublent »
La vie en communauté a été organisée par les étudiants eux-mêmes. « A partir de 9 heures, on ouvre la porte de la chambre, et à minuit, extinction des feux », résume Alassane Sagna, en deuxième année d’histoire. En effet, le temps de l’entretien, nous avons pu constater que la porte de cette chambre, qui sert aussi de siège pour l’amicale des étudiants, reste entrouverte en permanence et que les va-et-vient sont incessants. Les amis qui n’y logent pas y passent pendant leurs heures creuses pour discuter, prier, manger.
Une situation difficile à combiner avec leurs différents emplois du temps. « On n’arrive pas à réviser ou à se reposer parce que la chambre est toujours remplie, maugrée Bourama Coly, étudiant en master de biologie. Certains préfèrent donc travailler dans les amphis jusque tard dans la nuit. » A l’UCAD, l’étudiant ne doit pas seulement être bon élève, semble-t-il, « il doit aussi être endurant et patient », confie le groupe d’étudiants : « Et ce sont d’ailleurs les meilleurs au lycée qui redoublent ici. »
S’entasser dans les chambres au risque d’échouer, beaucoup d’étudiants préfèrent ça à la navette quotidienne pour rejoindre l’université. Siaka Manga, nouveau bachelier inscrit en anglais, loge au pavillon S depuis un mois et s’en réjouit. Lui qui quittait son domicile dans la commune de Keur Massar, en banlieue de Dakar, à 4 h 30 du matin, a même été agressé un jour et son portable volé. Sans compter que le trajet lui revenait à 5 000 francs CFA (7,60 euros) par semaine, une somme conséquente pour cet étudiant non boursier qui bénéficie de la solidarité de ses camarades pour vivre.
Pour ceux qui ont la bourse, la situation est moins précaire. Avec 18 000 francs CFA la demi-bourse et 36 000 francs CFA la pension complète, les étudiants peuvent acheter des tickets de transport et de cantine, envoyer une partie à la famille et faire leurs photocopies de cours.
85 000 étudiants pour 20 000 places
Et puis, à l’UCAD, il faut faire la queue pour tout. Dans la plupart des pavillons, qui ne comptent que des toilettes communes, il faut se réveiller à 5 heures pour pouvoir se doucher à temps. « Même pour faire ses besoins, on fait la queue », lance Omar Sakho. Au guichet bancaire en face de l’université, le seul où les étudiants qui n’ont pas de carte bleue peuvent retirer leur bourse, la file d’attente commence la veille au soir.
Dans les restaurants universitaires, qui ont été récemment rénovés, il faut compter au moins une heure avant d’être servi, car même les étudiants qui ne logent pas sur le campus préfèrent y manger, le petit-déjeuner étant à 75 francs CFA (0,11 euro), les autres repas à 150 francs CFA. Conséquence : des étudiants qui arrivent en retard en cours et qui, par manque de place dans les amphithéâtres, sont mal installés ou obligés de suivre depuis la fenêtre.
Lors de son ouverture en 1959, l’UCAD avait une capacité d’accueil de moins de 10 000 places. Celle-ci a été augmentée à plus de 20 000, mais l’université compte actuellement… 85 000 étudiants. De nouveaux amphithéâtres ont été construits, les plus anciens ont été rénovés et les chapiteaux qui servaient de salles pendant les travaux restent utilisés.
Pourtant, même lorsqu’il a cours à midi, Makily Tamba appelle dès l’aube ses camarades qui logent sur place afin qu’une place lui soit lui réservée. Pendant certains cours, les étudiants s’assoient même sur le paillasson du professeur. Résultat : des enseignants excédés, qui finissent parfois par jeter l’éponge tant les conditions de travail sont difficiles, et des étudiants qui suivent difficilement, voire en viennent aux mains.
Selon l’adage, le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt. A l’UCAD, les étudiants se réveillent souvent avant l’aube, mais ils ont le sentiment d’être exclus de l’avenir du pays. Lorsqu’on leur demande quels sont les débouchés après leurs études, le ricanement général ne masque pas l’inquiétude qui se lit sur les visages. Et puis, comme pour briser la glace, l’un d’eux lance : « Nous sommes formés pour être des chômeurs. »