Cannes 2018 : nouveaux récits à l’ACID
Cannes 2018 : nouveaux récits à l’ACID
Par Clarisse Fabre
La programmation cannoise de l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion a réservé de belles surprises.
La programmation cannoise de l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion proposait cette année neuf films. / ACID 2018
Il est assez tentant de chercher un motif commun parmi les neuf films de la programmation 2018 de l’ACID au Festival de Cannes. Qu’ont voulu nous dire, peut-être dans leur inconscient, les sélectionneurs de l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion – qui sont, précisons-le, des cinéastes – ? C’est l’une des spécificités de cette section cannoise, où la programmation n’est pas décidée par une seule personne. Le motif 2018 pourrait être le temps, celui qui permet de prendre du champ, d’aller voir de l’autre côté, ou tout simplement d’imprimer la pellicule. Une façon de résister au flux d’images et d’informations plus ou moins justes qui fusent à la vitesse des étoiles filantes, la poésie en moins.
Dans l’ensemble, le motif est plutôt réussi. Les réalisateurs et réalisatrices de cette programmation paritaire livrent de nouveaux récits, de l’Amérique au Kazahkstan en passant par la Roumanie et la France. Où il est question d’identité, du dépassement de soi, de la recherche du bien-être amoureux, d’éclats de vie fragiles, fugages, à saisir dans l’instant. Si l’on met bout à bout les titres des neuf films, cela donne : Dans la terrible jungle, soudain Il se passe quelque chose. Cassandro the Exotico ! a Un violent désir de bonheur, chante Thunder Road, de Bruce Springsteen, cherche L’Amour debout sur le ring, mais il, à moins que ce ne soit elle, soupire : Seule à mon mariage… et sans argent. Bad Bad Winter pour Nous, les coyotes.
Amoureux, révolutionnaires et handicapés
Que se passe-t-il après la séparation de deux amoureux ? Dans L’Amour debout, Michaël Dacheux filme sur plusieurs saisons, dans l’Est parisien qui déborde sur Pantin, le parcours de deux jeunes gens qui se reconstruisent chacun de leur côté. En chemin, le garçon qui veut devenir réalisateur croise Françoise Lebrun, l’inoubliable Véronika dans La Maman et la Putain (1973), de Jean Eustache. Celle qui, avant de tourner ce film, jetait joyeusement des pavés dans le Paris de Mai-68.
L’actrice Françoise Lebrun dans la rue du Poussin à Cannes, le 17 mai 2018. / STEPHAN VANFLETEREN POUR « LE MONDE »
On a vu un « faux » film historique, Un violent désir de bonheur, de Clément Schneider. Dans un style rohmérien, le jeune réalisateur Clément Schneider nous installe en 1792 dans un couvent de l’arrière-pays niçois, que des troupes révolutionnaires viennent de réquisitionner. Mais ce n’est qu’un « costume » : l’action pourrait avoir lieu aujourd’hui. Dans ce temps qui nous sépare de la Révolution française, le cinéaste interroge les potentielles insurrections contemporaines, sur fond de musique rock des années 1970. Comme si des jeunesses d’époques différentes allaient se rencontrer, combler le vide sur l’étagère de livres.
Le cinéaste Clément Schneider sur la plage de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, le 14 mai 2018. / STEPHAN VANFLETEREN POUR « LE MONDE »
Qu’est-ce qui se cache derrière ce centre d’accueil pour jeunes handicapés, situé à Loos dans les Hauts-de-France ? Un lieu qui peut devenir enchanteur, avec des êtres doués d’un bel imaginaire, nous disent Caroline Capelle et Ombline Ley. Il fallait le faire : Dans la terrible jungle est une sorte de « teen-movie » réalisé avec des adolescents qui se sont approprié la caméra, ont accepté de jouer des scènes fictives tout en livrant une part de leur quotidien.
TEASER 3 - DANS LA TERRIBLE JUNGLE de Caroline Capelle & Ombline Ley (ACID Cannes 2018)
Durée : 00:46
Catch et performance
Cassandro, dans sa tenue de « drag-queen », est-il « seulement » un catcheur burlesque ? On n’est pas près d’oublier Cassandro the Exotico !, de Marie Losier. Ce champion de catch mexicain aux paupières pailletées est fellinien : il s’est imposé dans ce milieu machiste en assumant son homosexualité, au prix de violences physiques et verbales. Marie Losier montre l’homme derrière le personnage : né Saul Almendariz, il s’est construit à travers ses combats, sportif et identitaire.
La réalisatrice Marie Losier et l’acteur-catcheur Cassandro dans les locaux d’Unifrance à Cannes, le 10 mai 2018. / STEPHAN VANFLETEREN POUR « LE MONDE »
Le choix esthétique de la pellicule seize millimètres est une autre mise en danger : la bobine se termine en trois minutes et il faut sans cesse changer le film, quitte à rater le moment crucial du match ! Marie Losier a pris le risque de l’« accident technique » pour la beauté du geste. Cassandro est servi : le grain satiné de l’image lui va comme un gant.
Cannes 2018 : les coups de cœur de nos critiques
Durée : 04:56
Et que dire de la performance de Jim Cummings dans Thunder Road ? Réalisateur, scénariste et comédien de ce film tendu, nerveux, il incarne un policier texan qui fait tout pour récupérer la garde de sa fille. Mais il est borderline : il a le don de se mettre dans des situations impossibles. Il y a du Jim Carrey dans ce Jim Cummings dont on devrait entendre parler.
EXTRAIT - THUNDER ROAD de Jim Cummings (ACID Cannes 2018)
Durée : 00:20
D’Avignon à Los Angeles
D’autres films ont moins convaincu. Dans Il se passe quelque chose, Anne Alix nous invite à fermer le guide touristique et à fuir dans l’arrière-pays. Comme cette femme qui doit rédiger un guide « gay-friendly » dans la région d’Avignon et qui, très vite, prend la tangente avec une femme rencontrée par hasard. Lors de ce « road-movie », elles vont croiser des habitants, des vrais, qui ne sont pas des acteurs : des ouvrières, une patronne de bar qui écrit des chansons, un homme touché par le nuage de Tchernobyl, avec un corps « augmenté » à ses extrémités. Ce sont les moments les plus passionnants du film, mais ils sont malheureusement trop courts. Le scénario est subtil, le récit un peu monotone.
EXTRAIT 2 - IL SE PASSE QUELQUE CHOSE de Anne Alix (ACID Cannes 2018)
Durée : 01:00
De même, Seule à mon mariage, de Marta Bergman, suit le périple d’une jeune Rom qui rencontre sur Internet un potentiel mari en Belgique. Mais elle lui cache l’existence de sa fille… L’héroïne se « dédouble » mais le film hésite dans un récit trop long.
EXTRAIT - SEULE À MON MARIAGE de Marta Bergman (ACID Cannes 2018)
Durée : 01:22
Il y a les amis d’enfance qui sont des faux amis, voire des monstres. C’est le thème du thriller d’Olga Korotko, Bad Bad Winter, tourné dans le froid du Kazakhstan. Efficace et très joliment réalisé, mais les ficelles du scénario sont un peu grosses.
EXTRAIT - BAD BAD WINTER de Olga Korotko (ACID Cannes 2018)
Durée : 01:32
Changement de température : Nous, les coyotes, d’Hanna Ladoul et Marco La Via, voudrait nous montrer l’autre Los Angeles. Un jeune couple s’installe à « L.A. », rempli de rêves californiens. Mais ils vont déchanter, au fil de déconvenues qui s’accumulent – un peu trop à notre goût. Le charme du film doit beaucoup au personnage féminin, interprété par Morgan Saylor, qui évolue sous nos yeux, y compris physiquement. La jeune fille BCBG, contenue, largue les amarres familiales comme on jette le sac à dos. L’été peut commencer.
EXTRAIT 2 - NOUS, LES COYOTES de Marco La Via & Hanna Ladoul (ACID Cannes 2018)
Durée : 02:02
Sur le Web : www.lacid.org/fr/cannes/programmation