Après avoir beaucoup douté de ses capacités, Christine a décidé de ne plus jamais s’autocensurer.

Voix d’orientation. Le Monde Campus et La ZEP, média jeune et participatif, s’associent pour faire témoigner lycéens et étudiants sur leurs parcours d’orientation. Cette semaine, Christine, 26 ans, diplômée de Sciences Po, en doctorat à l’université américaine de Princeton, dans le New Jersey.

Aujourd’hui diplômée de Sciences Po Paris, je suis sur le point d’entamer un doctorat en économie à l’université de Princeton à la rentrée prochaine ; le chemin parcouru pour en arriver là était pourtant loin d’être tracé à l’avance.

Je suis une enfant de parents immigrés chinois qui ne maîtrisent pas le français et ne connaissent pas grand-chose au système éducatif français. Et ils ont eux-mêmes arrêté leur scolarité très tôt : à l’école primaire pour ma mère et au collège pour mon père. Par ailleurs, j’ai effectué ma scolarité primaire et secondaire dans des quartiers populaires de Paris, puis en banlieue parisienne (dans le 93), et enfin dans des petites villes bourguignonnes. Mes chances d’intégrer une grande école française étaient donc très faibles, du moins sur le papier.

Malgré mon milieu socio-économique et culturel, j’ai toujours été bonne à l’école, même si contrairement aux clichés sur les familles chinoises, mes parents n’étaient pas derrière moi pour m’aider et s’assurer que je faisais bien mes devoirs ou que j’avais de bonnes notes. Là où j’aurais aimé avoir un peu plus d’aide, c’est pour m’orienter au lycée. J’étais livrée à moi-même. Je ne pouvais pas non plus demander à mon grand frère car celui-ci avait été en S, tandis que moi j’avais, contre l’avis du conseil de classe, opté pour la série ES. J’ai donc dû me débrouiller seule pour collecter des infos, obtenir des conseils, et in fine prendre mes décisions.

Ne pas s’autocensurer

Paradoxalement, n’ayant pas de pression familiale, je pouvais librement choisir la voie qui me plaisait. Encore fallait-il être au courant des différentes voies possibles et ne pas s’autocensurer… Ayant un grand frère qui s’était lui-même orienté vers la fac, je croyais naïvement que c’était l’unique voie possible et que tous les lycéens allaient à la fac après l’obtention de leur bac.

En première, lors d’un rapide passage dans ma petite ville bourguignonne d’une de mes tantes éloignées et de son mari, j’ai pour la première fois entendu parler des classes prépas et des grandes écoles. Des recherches approfondies au CDI de mon lycée et sur Internet m’ont alors persuadée qu’une « prépa HEC voie éco » (prépa ECE) correspondrait bien à mon profil.

C’était une voie ambitieuse et d’exigence, j’ai donc préféré obtenir l’avis de mes professeurs. A la suite d’une discussion avec ma prof d’anglais, j’ai laissé tomber l’idée d’aller à la fac. Elle estimait qu’au vu de mon profil pluridisciplinaire et de mes bons résultats, un IEP serait adéquat. Cependant, je n’envisageais absolument pas des études politiques et, faute de m’être davantage renseignée sur les cursus et les débouchés offerts par les IEP, j’ai très vite écarté cette option-là et me suis concentrée sur les prépas. Mes autres professeurs de terminale ne voyaient pas de problèmes avec cette orientation, à l’exception de celui de maths, qui s’avérait également être mon prof principal…

Lorsque je lui ai appris que je comptais mettre la prépa ECE du lycée Henri-IV, à Paris (la meilleure prépa publique de France), dans ma liste de vœux, il s’est mis à rire, puis m’a plutôt conseillé de regarder du côté des classes préparatoires aux études supérieures (CPES), dont celle proposée par le lycée militaire de notre ville. Ce sont des sortes de « prépas à la prépa » où l’on essaie de « remettre à niveau » les bons élèves issus de milieux modestes en leur fournissant les méthodes de travail et les connaissances en culture générale (dont on pense qu’ils manquent) pour réussir en prépa. Sur le coup, il m’a fait douter de mes capacités et a remis en cause mes choix d’orientation.

Soutien d’internautes

Heureusement, j’avais le soutien de nombreux internautes que je fréquentais sur un forum spécialisé dans les prépas HEC : d’autres lycéens intéressés par la prépa, mais aussi des actuels et des anciens étudiants de prépa. J’avais posté mon dossier scolaire et les membres du forum qui étaient intervenus m’avaient tous conseillé de viser haut. J’ai aussi eu la chance d’avoir fait la connaissance de Mme Rémond-Sadigh, ma prof de philo de terminale, qui n’a jamais douté de mes capacités, m’a poussée à tenter la prépa et n’a cessé de me soutenir depuis mon entrée dans les études supérieures.

Toutefois, manquant de confiance en moi, je craignais de « viser trop haut » et d’être à la traîne si jamais j’y étais prise. J’ai donc rétrogradé le lycée Henri-IV et placé le lycée Janson-de-Sailly en tête de ma liste de vœux sur le site d’APB (actuel Parcoursup). Les journées « portes ouvertes » de Janson (les seules que j’ai effectuées) m’avaient plu et confortée dans mon choix. La prof de maths, qui avait eu la gentillesse de jeter un œil à mes bulletins, m’avait dit que j’avais visiblement un dossier solide, mais que comme je venais « d’un lycée de province inconnu » (le lycée Bonaparte à Autun, en Saône-et-Loire) et qu’en plus, je n’avais pas pris la spécialité maths (même si je m’en sortais très bien en maths), il lui était difficile de se prononcer, d’autant qu’ils reçoivent pas mal de très bons dossiers. Malgré tout, elle m’a encouragée à tenter.

Et, à ma grande joie, j’y ai été admise ! Je n’en avais pour autant pas encore fini avec mon orientation post-bac. Suite à l’obtention de la mention « très bien avec les félicitations du jury », des lycéens d’un autre forum que je fréquentais (Hardware Forum) ont beaucoup insisté pour que je tente l’admission à Sciences Po Paris sur dossier (admission sur mention « très bien »). Bien qu’initialement réticente, j’ai cédé et ai soumis ma candidature la veille de la date limite. Contre toute attente, j’y ai aussi été admise ! J’étais donc confrontée à un choix certes « de luxe » mais cornélien. Après quelques semaines de doutes et de tergiversations, je suis allée à l’encontre de la majorité des avis que j’avais recueillis (principalement sur les forums) et ai décidé de poursuivre mon but initial, la prépa HEC, même si c’était une voie bien plus risquée…

Tenter un doctorat

Il s’avère cependant qu’à ma grande surprise, à la fin de ma première année de prépa, j’ai été recontactée et j’avais à nouveau la possibilité d’intégrer Sciences Po ; ma démission n’avait en effet pas été prise en compte. Bien que je m’en sortais correctement en prépa, je me suis laissée convaincre et j’ai quitté la prépa en début de deuxième année pour rejoindre Sciences Po.

Rétrospectivement, je ne regrette pas ce choix. Sciences Po était bien différent de la prépa mais j’ai progressivement, non sans mal, trouvé ma place et ma voie : l’économie. Là encore, ce ne fut pas seule : durant mes deux premières années à Sciences Po, j’ai saisi les opportunités qui s’offraient à moi en allant chercher des conseils auprès de plusieurs doctorants et j’ai également fait la connaissance, sur le forum Prepa-HEC. org, de Sophie, une camarade de promo qui était aussi intéressée par des études en éco avec les mêmes ambitions que moi et qui est, depuis, devenue une très bonne amie.

En master, ce sont principalement deux profs d’économie à Sciences Po qui m’ont encouragée à tenter un doctorat. Mais là encore, j’avais peur de viser trop haut et je ne voulais initialement pas tenter le top 3 (le MIT, Harvard et Stanford). C’est la prof aux côtés de laquelle je travaille actuellement à l’université de Chicago qui m’a encouragée à postuler quand même, et elle a bien fait puisque j’ai été présélectionnée et convoquée à un entretien pour un programme doctoral à Harvard.

Même si je n’ai finalement pas été admise, cela m’a donné un peu plus confiance en moi et j’essaierai de ne plus m’autocensurer à l’avenir !

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