Football : la violence se banalise dans les stades tunisiens
Football : la violence se banalise dans les stades tunisiens
Par Alexis Billebault
Lieux où s’exprimait la contestation sous Ben Ali, les arènes sportives sont devenues, depuis la révolution de 2011, le théâtre d’incidents de plus en plus fréquents.
C’est un événement de plus venu s’ajouter à une liste déjà très fournie. Vendredi 18 mai, un match entre l’US Ben Guerdane et l’EGS Gafsa n’est pas allé à son terme. Sur la pelouse de Radès, en banlieue de Tunis, les dirigeants des clubs de football se sont battus comme des chiffonniers, des responsables politiques sont intervenus et les joueurs de Gafsa ont refusé de reprendre le jeu. Dans cette ville minière du sud-ouest de la Tunisie, des supporteurs ont protesté pendant trois nuits, brûlant des pneus, bloquant une route et criant des slogans hostiles à la Fédération tunisienne de football.
Les incidents, plus ou moins graves, jalonnent l’actualité du football tunisien depuis de trop longues années. Cette saison, de nombreux faits ont été recensés, dont certains particulièrement marquants. Le 15 février, à Radès déjà, une quarantaine de policiers ont ainsi été blessés lors du choc entre l’Espérance sportive de Tunis et l’Etoile sportive du Sahel.
« Un défouloir »
L’entraîneur français Gérard Buscher, installé en Tunisie depuis douze ans et qui a travaillé dans de nombreux clubs (Bizerte, Hammam-Lif, La Marsa, Espérance sportive de Tunis, Gabès), a vu le phénomène s’amplifier ces dernières années :
« Depuis la révolution de 2011, plus précisément. Il n’y a pas des problèmes à chaque journée de championnat, mais cela arrive de plus en plus souvent. Avant, les autorités se montraient beaucoup plus répressives, même si les stades ont toujours été un défouloir, où des gens venaient scander des slogans hostiles à Ben Ali. »
Une analyse que partage Mehdi Ben Gharbia, l’ancien président du Club athlétique bizertin (2011-2016), aujourd’hui ministre chargé des relations avec les instances constitutionnelles et la société civile :
« Les stades sont un endroit où on se rebelle. C’était déjà le cas sous la dictature de Ben Ali. Aujourd’hui, le contexte est différent, car la Tunisie est une jeune démocratie et les Tunisiens font l’apprentissage de cette liberté. Certains d’entre eux croient qu’on peut tout se permettre, que tout est autorisé. Il est évident que ces incidents ne donnent pas une image optimale du pays. Le gouvernement est conscient de la situation, il faut durcir les sanctions. »
Matchs à huis clos
Gérard Buscher a souvent été confronté à des actes de violence mettant en danger son intégrité physique et celle de ses joueurs :
« Recevoir des projectiles pendant un match, voir des joueurs blessés, c’est devenu presque banal. Or c’est inadmissible. Des sanctions sont prononcées, mais la plupart du temps elles ne sont pas appliquées dans leur totalité. On va décider de suspendre un dirigeant trois ans et finalement il ne le sera que trois mois ! Il y a une sorte de culture du pardon. Si on veut vraiment lutter contre ce fléau, il faut des mesures dissuasives, comme le retrait de points ou des suspensions lourdes. »
Pendant plusieurs années, les autorités avaient imposé que les matchs de championnat se jouent à huis clos, une mesure économiquement coûteuse pour les clubs. « On ne peut pas les priver de recettes aux guichets », plaide Gérard Buscher.
Le gouvernement tunisien, conscient du problème, devrait donc imposer des mesures plus contraignantes à court terme. La plus efficace consisterait à identifier les supporteurs les plus violents et à prononcer des interdictions de stade. « L’Angleterre et la France, pour lutter contre le hooliganisme, ont appliqué ce système avec des résultats probants. C’est quelque chose que nous devions étudier », considère Mehdi Ben Gharbia.