Darwin, un village alternatif face à la réalité du marché immobilier bordelais
Darwin, un village alternatif face à la réalité du marché immobilier bordelais
Par Claire Mayer (Bordeaux, correspondance)
David Manaud / Darwin via Campus
Entre Darwin et la métropole de Bordeaux, les relations ne sont pas exactement au beau fixe. Au cœur du problème : un projet de construction, piloté par la métropole, d’un quartier de 35 hectares sur des terres occupées par ce Darwin. Une médiation a été mise en place. Le 14 mai, un nouvel entretien entre les différentes parties et Alain Juppé a eu lieu. Mais le conflit reste ouvert.
Côté mairie, on argue que l’arrivée de nouveaux habitants, qui a fait flamber les prix de l’immobilier à Bordeaux, nécessite un ambitieux programme de constructions. Côté Darwin, on déplore des politiques qui construisent « trop vite, trop mal, et pour trop cher ». Et on met en avant la réussite de ce « village alternatif » unique en son genre, devenu le deuxième lieu le plus visité de Bordeaux après le miroir d’eau – il reçoit chaque jour plus d’un millier de personnes.
« Le maire veut obtenir un équilibre entre la pérennisation de l’écosystème Darwin, implanté sur des terrains qui lui appartiennent en partie, et le bon déroulement de travaux d’aménagement prévus de longue date », explique Elizabeth Touton, adjointe chargée de l’urbanisme. « Les projets peuvent cohabiter. Mais là où nous sommes en difficulté, c’est que Philippe Barre, cofondateur de Darwin, et Pascal Gérasimo, le directeur général de Bordeaux Métropole Aménagement, ont beaucoup de difficultés à échanger. »
L’histoire de Darwin remonte à 2008. Cette année-là, Jean-Marc Gancille et Philippe Barre décident de créer un lieu « dédié au développement économique responsable, à l’entrepreneuriat social, à la transition écologique et à l’activisme citoyen ». Philippe Barre utilise ses fonds propres et obtient des aides de partenaires privés pour investir dans la caserne Niel, soit plus de trois hectares d’anciennes friches militaires.
Installé sur la rive droite, loin du tumulte du centre-ville, Darwin abrite aujourd’hui le Magasin général, plus gros restaurant bio de France et accueille 230 entreprises, 20 associations. On y trouve aussi une ferme urbaine, avec des jardins potagers en permaculture, des ruches, un poulailler…
Sa pépinière d’entreprises et ses espaces de coworking sont devenus très prisés. On y croise les fondateurs de Bivouak, cosmétiques bio de fabrication artisanale pour hommes, ou de célèbres noms bordelais comme la maison Meneau, un fabricant de sirops. Christine Panteix, directrice des Premières Nouvelle-Aquitaine, incubateur pour les entrepreneuses, est l’une des premières entreprises à s’être installées à Darwin : « C’est un lieu où l’on peut mixer les activités, recevoir des clients, à la fin de la journée faire du pilate, des achats chez Emmaüs, assister à une conférence… C’est une richesse qui fait sortir du quotidien du bureau. »
En journée, les Darwiniens côtoient touristes et badauds venus déambuler, parfois en famille, trottinette et skateboard sous le bras. Un grand skate park, aujourd’hui menacé par les projets de Bordeaux Métropole, attire des passionnés de glisse. Au Magasin général, où il est bon de réserver sa place, tout a été pensé dans une optique de responsabilité environnementale. « Les planches du restaurant sont celles du chantier, les tabourets sont des bouts de charpente qu’on ne pouvait pas conserver. L’accumulation de ces touches de sens donne une respiration authentique au lieu », estime Philippe Barre.
L’ambition de Darwin ne s’est pas arrêtée à la limite de la caserne Niel : de l’autre côté du trottoir, les Chantiers de la Garonne accueillent, les pieds dans le sable, ceux qui souhaitent boire un verre ou déguster du poisson. Le tout accompagné d’une bière artisanale darwinienne, celle de la Brasserie de la Lune, brassée sur place.
En 2016, le lycée Edgar-Morin a vu le jour au sein de Darwin. Il propose une pédagogie alternative à l’enseignement traditionnel, plus personnalisée, qui fait la part belle au numérique. Cette année, le lycée accueille 60 élèves, et devrait en recevoir 90 l’année prochaine. Sans pour autant dépasser les 100, car « nous ne faisons pas de course à la taille », conclut Philippe Barre.
De nombreux événements viennent ponctuer le quotidien des locataires du lieu, comme le « Darwin Ocean Climax », festival hybride mêlant débats, conférences et concerts sur le thème du changement climatique et de la protection des océans. En 2017, des têtes d’affiche comme Franz Ferdinand et Morcheeba ont côtoyé José Bové. Cette année, le premier nom de la programmation dévoilé est Jane Goodall, célèbre anthropologue britannique.