C’est l’un des drames de la Centrafrique. Lorsqu’elle fait l’objet de réelles préoccupations internationales, c’est que cette nation, où l’Etat n’est plus qu’un mirage, a basculé dans une crise de grande intensité, menaçant la sécurité régionale comme ces quatre dernières années avec l’irruption des rebelles de la Séléka et la plongée dans les abysses qui s’en est suivie. Puis la Centrafrique disparaît rapidement des radars, tombe dans l’oubli, les promesses de soutiens financiers ne sont pas tenues au motif de l’irréductible corruption des autorités qui se succèdent sans être en mesure d’améliorer les conditions de vie de la population.

Aujourd’hui, à Bangui, tous les regards sont tournés vers Bruxelles où doit se tenir, jeudi 17 novembre, une conférence des bailleurs de fonds. Sur la dernière décennie, c’est la cinquième du genre. Les quatre précédentes s’étaient soldées par des annonces de dons à multiples zéros qui ne sont jamais arrivés jusqu’aux caisses du Trésor centrafricain que les bailleurs considèrent, non sans raison, comme un puits sans fond.

« Soyons optimistes ! »

En dépit de ces expériences passées, le nouveau président Faustin-Archange Touadéra et son gouvernement nourrissent d’immenses espoirs sur cette conférence où seront présents les principaux donateurs (Union européenne, France, Etats-Unis, Banque mondiale). Leur objectif alors que le budget de l’Etat avoisine les 350 millions d’euros annuels, soit approximativement l’équivalent de celui de la ville du Havre : mobiliser près de 3 milliards d’euros sur cinq ans, dont la moitié devrait être versée lors des trois prochaines années. A titre de comparaison, l’Afghanistan s’est vu promettre en octobre 13,6 milliards d’euros pour la période 2017-2020.

Selon le Plan de relèvement et de consolidation de la paix préparé par Bangui, « avec un gros appui de la Banque mondiale et de l’UE pour présenter quelque chose de concret et de défendable », indique un observateur sur place, 430 millions d’euros devraient être affectés à « la restauration de la paix, de la sécurité et la réconciliation » à travers des programmes de désarmement et de réinsertion des combattants, de réforme des forces armées et des institutions judiciaires ; 1,24 milliard d’euros devrait être consacré au redéploiement de l’administration, à la fourniture des services de base (éducation, santé, eau) et au « renforcement de la bonne gouvernance » ; enfin 1,14 milliard d’euros devrait être destiné à la relance économique.

« Je pense que les partenaires vont se montrer disponibles. Soyons optimistes ! », déclare depuis Bruxelles un ministre du gouvernement centrafricain qui révèle que près d’un milliard a déjà été promis par la Banque mondiale lors du déplacement du président Touadéra à Washington fin septembre. « Nous sommes confiants pour les annonces », abonde un diplomate sous couvert d’anonymat avant de situer ses inquiétudes : « Le risque, c’est après. Etant donné les faibles capacités du gouvernement pour absorber les fonds et le temps de décaissement, ces promesses risquent de fragiliser le chef de l’Etat, car les projets n’aboutiront pas à des résultats avant plusieurs mois et la vie des Centrafricains ne va pas changer aussitôt », analyse-t-il. Puis de conclure : « Il y a un vrai danger que cela n’encourage de nouvelles contestations. »

Le 24 octobre, les milices anti-Balaka, avec le concours d’organisations de la société civile et le soutien d’une partie de la population, avaient effectué une démonstration de force en imposant une journée « ville morte » dans la capitale. « Les jeunes sans emploi et sans éducation représentent la majorité de la population. Ils sont facilement manipulables par des acteurs politiques ou politico-militaires qui vont leur faire croire qu’une manne vient de tomber sur notre pays », ajoute un ministre également soucieux des conséquences immédiates de ce rendez-vous crucial pour le redressement de son pays, où près de la moitié des 4,5 millions des ressortissants demeure dépendante de l’assistance humanitaire et 850 000 personnes sont déplacées ou réfugiées.

Aucune initiative majeure

A la veille de la conférence, des ONG comme Action contre la faim ou le Comité norvégien des réfugiés ont d’ailleurs fait part de leur inquiétude alors que moins du tiers des 496 millions d’euros requis pour l’assistance humanitaire en 2016 ont été débloqués par les bailleurs. « Après la tenue d’élections démocratiques en 2016, certains acteurs ont commencé à parler d’une normalisation de la situation après des années de violences. Un discours inquiétant qui semble vouloir justifier le mouvement progressif vers le développement au détriment de l’humanitaire et qui est déjà amorcé par les gouvernements, donateurs et agences qui sont intervenus au plus fort de la crise », s’alarme pour sa part Médecins sans frontières alors que la Centrafrique est « toujours prisonnière d’une spirale persistante de violence ».

En effet, l’opération militaire française « Sangaris » s’est officiellement clôturée fin octobre alors que l’empreinte des groupes armés, anti-Balaka et ex-Séléka, continue de s’étendre sur le pays. « Une partie des ex-Séléka de Bambari est redescendue vers le sud. Ces dernières semaines, ils ont multiplié par cinq le montant des taxes qu’ils prélèvent à la frontière congolaise. Vers Bouca et Bossangoa, des anti-Balaka, sans doute en lien avec Francis Bozizé – le fils de François Bozizé et ex-ministre de la défense – se sont réactivés », prévient une source humanitaire. Face à ce regain de violence, le président Touadéra apparaît jusqu’ici désarmé et apathique. Que ce soit dans la mise en œuvre d’une politique claire à l’égard des groupes armés, la réforme des forces de sécurité, de la justice, ou la lutte contre la corruption, le chef de l’Etat centrafricain n’a lancé, plus de sept mois après sa prise de fonction, aucune initiative majeure.

Les tourments éternels de la Centrafrique