Pour ses « smart cities », l’Etat mauricien fait appel aux investisseurs privés
Pour ses « smart cities », l’Etat mauricien fait appel aux investisseurs privés
Par Olivier Piot
L’île Maurice en quête d’un second « miracle » (4/5). Port-Louis a prévu des incitations administratives et fiscales pour faire du pays un centre de l’urbanisation futuriste.
Le vent des smart cities souffle sur l’île Maurice. Séduites par cette nouvelle vitrine de modernité, les autorités se sont converties à ce concept de « villes intelligentes » qui associent Internet à la gestion des énergies et des déchets. A l’image de ce qui se pratique déjà en Europe, en Asie ou aux Etats-Unis, Port-Louis a lancé en 2015 un ambitieux « Smart City Scheme ». Son objectif ? Sous l’appellation générique de « Smart Mauritius », faire du pays un centre de l’urbanisation futuriste.
« Ce plan directeur est une façon d’anticiper l’urbanisme de demain sur notre île, précise Sachin Mohabeer, chef du département « Smart City » à l’Economic Development Board (EDB). Pour les habitants, ces futures cités ont une triple vocation, résumée dans le slogan “Travailler, vivre et se distraire”. Pour l’Etat, c’est un levier de sa politique en matière d’aménagement du territoire. »
Pôle éducatif et maison de retraite
En avril, Port-Louis a déclaré avoir identifié dix projets de smart cities, dont cinq ont obtenu le certificat d’agrément de l’Etat. « Mon Trésor » et « Cap Tamarin » au sud, « Médine éducation village » à l’ouest, « Beau Plan » au nord et « Moka City » au centre… Qu’il s’agisse de villages créés ex nihilo ou développés à partir de noyaux urbains préexistants, ces cinq projets présentent des caractéristiques communes : « Entre 2 000 et 4 000 foyers de résidence, des terrains de 500 et 1 000 arpents [entre 125 et 250 hectares] et une maîtrise d’œuvre qui va s’étaler sur dix à vingt ans, parfois plus », indique Sachin Mohabeer.
A Moka, les travaux ont débuté en 2017 en agglomérant le projet d’urbanisme au village existant. Sur les plans, les maisons côtoient bureaux, commerces, écoles et centres de santé. Située à proximité de Bagatelle, le plus moderne des centres commerciaux de l’île, Moka City poussera au cœur d’une zone urbaine comprenant la capitale, Port-Louis, et concentrant 40 % de la population active de l’île et 70 % de son pouvoir d’achat. Des avantages qui ont séduit le groupe ENL, leader dans l’immobilier à Maurice et promoteur du projet.
Dans la plaquette d’ENL consacrée à Moka City, les images 3D vantent les futures infrastructures : salle de congrès, pôle éducatif, country club, centre de recyclage, parc d’affaires… Avec un « retour sur investissement garanti », assure l’ENL dans une note destinée aux investisseurs étrangers. Des compagnies européennes sont pressenties pour construire une clinique privée ou une maison de retraite. La valeur des terrains ayant déjà triplé dans la zone en dix ans, le rendement locatif est évalué à 6 % par an, sans parler des futures reventes de villas, exonérées d’impôt sur les plus-values.
Un programme jugé « inégalitaire »
Car pour financer ce plan futuriste, Port-Louis a dû soigner son business plan. Dans une note d’avril 2017, l’ambassade de France notait que « le gouvernement mauricien ne disposant pas des ressources financières pour mener à bien de tels investissements, son rôle consiste à fixer le cadre institutionnel et à donner les impulsions nécessaires. Reste au secteur privé, qu’il s’agisse des grands groupes mauriciens ou de promoteurs étrangers, à définir le périmètre des projets ». L’Etat stratège encadre, donc, et coordonne, avec notamment la société publique Landscope Mauritius, chargée d’administrer les terrains de l’Etat où pousseront certaines smart cities.
L’Etat a aussi prévu des incitations administratives et fiscales. Parmi ces avantages, l’absence de taxe en cas de conversion d’un terrain agricole ou commercial ; la suppression de la taxe douanière pour tous les matériaux importés pour les travaux ; la suspension de l’impôt sur les sociétés pour les huit premières années du projet ; l’octroi de la nationalité mauricienne pour tout investisseur professionnel qui participe à hauteur de 5 millions de dollars à une smart city ; et l’octroi du statut de résident fiscal pour tout particulier étranger qui décide d’investir au moins 500 000 dollars dans une villa.
Depuis 2015, la presse mauricienne n’a pas manqué de critiquer ce programme, jugé « mégalomane » et « inégalitaire », et a soulevé de nombreuses questions. Quelle place pour les Mauriciens dans cette nouvelle urbanisation ? Quel impact sur l’environnement et « l’harmonie sociale », thème si cher aux autorités ? De fait, en misant principalement sur les investissements privés pour développer ses smart cities, l’Etat s’expose à une urbanisation à deux, voire trois vitesses.
Sommaire de notre série « L’île Maurice en quête d’un second miracle »
Canne à sucre, tourisme de luxe, « économie bleue »... Le pays cherche à diversifier ses ressources.