Les sympathisants du parti d’extrême droite AfD ont été confrontés à une importante contre-manifestation. / TOBIAS SCHWARZ / AFP

A midi précise, place de Washington, devant la gare centrale de Berlin, la sono a fait retentir des cloches d’église puis une chanson traditionnelle. C’est dans ce décor sonore, inouï dans le cœur de la bouillonnante capitale allemande, que le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD), premier parti d’opposition au Bundestag, a donné le coup d’envoi de sa « grande manifestation pour l’avenir de l’Allemagne », dimanche 27 mai, rassemblement annoncé comme majeur par le parti. Selon la police, 5 000 personnes ont participé au cortège entre la gare centrale et la Porte de Brandebourg.

La place envahie de drapeaux noir et rouge n’était pas pleine, dimanche midi. Et lorsque les slogans se taisaient, on pouvait entendre la clameur de la grande contre-manifestation organisée par les opposants, à quelques dizaines de mètres de là. Entre les deux, un rideau de policiers et l’infranchissable Spree séparaient les deux groupes qui se scrutaient, se photographiaient, se sifflaient… et se traitaient réciproquement de nazis.

« Ceux d’en face nous empêchent de nous exprimer »

Sont-ils plus nombreux, ceux d’en face ? « Bien sûr que non, c’est nous ! Mais évidemment, la presse mensongère a déjà annoncé le contraire ! », maugrée une dame de 58 ans venue de Bautzen, en Saxe, à la frontière avec la République tchèque. Comme la plupart des manifestants interrogés, elle refuse de donner son nom entier. Elle est venue avec son fils. « Moi je vais très bien, je ne peux pas me plaindre. Ce n’est pas la question, je m’inquiète pour lui ! Qu’est-ce qu’il deviendra quand les musulmans auront envahi l’Allemagne ?, » demande celle qui défile tous les lundis à Dresde aux marches de Pegida. Autour d’elle, beaucoup sont venus des régions de l’Est environnantes. « Je suis là car je n’ai plus le droit de dire ce que je pense. Au fond rien n’a changé depuis la RDA, s’agace Reinhardt, 58 ans, venu de Schwerin, une petite ville en Mecklemburg Poméranie Occidentale. Ceux d’en face, qui nous empêchent de nous exprimer, ce sont eux les nazis ! ».

Les personnes rencontrées, en général âgées de plus de 50 ans, multiplient les mêmes références aux dictatures et à cette « interdiction de parler », qui les contraindrait à descendre dans la rue pour « proclamer leur attachement à la loi fondamentale ». Le fait de disposer depuis septembre de 92 députés au Parlement n’est-il pas une garantie suffisante pour être écouté ? « Pas tant que l’accès aux médias nous est limité », tranche Richard, 59 ans, qui lui a fait le voyage depuis Solingen, en Rhénanie-du-Nord-Westaphalie. Descendre dans la rue lui donne du courage, dit-il, et rapproche ces « militants patriotes » des autres mouvements similaires d’Europe centrale, en Hongrie, en République Tchèque et en Autriche.

Ceux « d’en face » sont en réalité bien plus nombreux que les sympathisants de l’AfD ne veulent bien se l’avouer. Selon la police, ils étaient au moins 25 000 à s’être rassemblés contre le parti d’extrême droite. Porte de Brandebourg, ils étaient serrés derrière les barrières soigneusement gardées par la police et avaient envahi les bois de Tiergarten. « L’important c’est que ça pète », dit le mot du collectif des clubs de Berlin, qui appelle à « éliminer l’AfD par les basses ». Autrement dit, de la musique techno. Entre ces jeunes urbains berlinois internationaux adeptes de la fête et le public du cortège de l’AfD, deux visages opposés de l’Allemagne se sont opposés de front. A Berlin dimanche après-midi, les premiers avaient l’avantage. En Allemagne, l’AfD est actuellement créditée de 13 % des intentions de vote.