Sophie Fontanel chronique la mode à « L’Obs ». / Réda Merida

Chronique. Réda Merida, licencié ès sciences politiques et étudiant en master « big data et analyse sociale » à Paris, s’est intéressé aux études de mode. Qu’en disent celles et ceux qui les suivent ? Il a demandé son avis à Sophie Fontanel, chroniqueuse à L’Obs et spécialiste du secteur.

A moins d’un mois du lancement de la semaine de la Fashion Week de Paris, l’un des plus importants événements de la mode, j’ai été à la rencontre de ceux et celles qui aspirent à y travailler un jour, les étudiants. Nous avons échangé sur leur formation et future insertion professionnelle, mais aussi de leurs inspirations, leurs questionnements et parfois leurs craintes. Requêtes que j’ai par la suite présentées à la papesse de la mode en France, Sophie Fontanel. Quinze années chez Elle, le magazine, en tant que journaliste puis directrice de la mode, elle est aujourd’hui chroniqueuse à L’Obs. Elle s’est fait connaître sur Instagram où elle est suivie par plus de 150 000 personnes et où elle traque les tendances et partage ses coups de cœur.

« Ce n’est pas parce qu’une personne est férue de mode qu’elle doit y travailler, la première chose à se demander donc, c’est qu’est-ce qu’elle veut faire dans la mode ? », dit-elle. En effet, on trouve dans l’industrie de la mode une myriade de corps de métiers, entre ceux qui sont mis sous la lumière ; stylisme, création et scénographie des défilés. Et ceux qui sont dans l’ombre mais non moins importants : publicité, finance, gestion et administration des maisons de mode en général. La mode n’est pas un métier en soit, d’où la nécessité d’avoir un projet professionnel précis, et pour ce faire, échanger avec des professionnels ou idéalement effectuer des stages restent les meilleures manières pour trouver sa voie.

La bataille des concours

Des étudiants ayant connu la bataille des concours d’entrée aux écoles d’art ont eu la gentillesse de me résumer l’offre d’apprentissage dans le domaine de la mode en France : il y aurait d’un côté des formations très techniques, où on apprend à manier les machines, distinguer les tissus et transformer l’ébauche d’un vêtement en un vrai. De l’autre, il y aurait des formations plutôt « artistiques », où le contenu est très intellectuel, entre histoire de l’art, philosophie, histoire de la création, etc.

Ce deuxième type de formation est plus prisé par celles et ceux qui veulent se diriger vers le journalisme de mode. Et depuis peu, on voit apparaître de nouvelles formations dans des écoles de commerce, plutôt axées sur le marketing, le management et la communication. Certains de ces étudiants déplorent cette division et préfèrent aller ailleurs pour trouver des formations plus transversales, en Suisse principalement. Sur cette question, l’avis de Sophie Fontanel est très clair : « Il ne faut surtout pas dénigrer les formations “intellectuelles”, c’est ce qui permettra aux étudiants de développer leur créativité et de s’imposer dans le milieu professionnel. On ne peut pas réussir sans culture ! », me dit-elle, elle qui a ponctué sa carrière dans la mode de quatorze romans, et le quinzième est en gestation sur Instagram.

« Il n’y a pas de règles ! »

Et puis il y a les festivals et les concours auxquels bon nombre d’étudiants et jeunes créateurs participent, tel le prix LVMH pour les jeunes créateurs de mode, qui offre une bourse de 300 000 euros au lauréat et une aide personnalisée au développement de son entreprise – un trophée qui a propulsé Simon Porte Jacquemus, créateur de la marque Jacquemus –, ou le Festival d’Hyères, qui promeut la jeune création dans le domaine de la mode, de la photographie et de l’accessoire de mode. Quel est le meilleur moment pour s’y essayer, avant ou après le diplôme, sans ou avec une expérience professionnelle ? « Il n’y a pas de règle ! », me répond Sophie Fontanel. D’après elle, Il faudrait surtout considérer l’effet caisse de résonance de ces concours, entre visibilité de son travail et réseautage ; « même si on perd, on y gagne quelque chose ! », ajoute-elle.

Par ailleurs, la journaliste insiste sur la nécessité de se lancer « dès que possible », c’est son unique commandement. Car, dit-elle, « ça ne sert à rien de passer trois années dans une école de mode s’il ou elle ne fait rien à côté ! ». Le secret, selon elle, savoir se distinguer, être créatif et savoir communiquer. Elle exhorte les jeunes à profiter de l’existence des réseaux sociaux pour partager leurs « inventions », quelles qu’elles soient. Qui sait ? Ils y trouveront peut-être leur premier public et seront éventuellement repérés par l’industrie qui, sortie de son clanisme, est en contact constant avec son public sur le Web.

En effet, avec l’émergence numérique, la mode a connu aussi sa part de transformation, une nouvelle génération de personnes innove et s’impose dans le domaine en passant par d’autres chemins. A l’instar de BoF (Business of Fashion) du Canadien Imran Ahmed, qui a eu l’idée de créer un blog pour traiter de l’économie de la mode, depuis son canapé, et qui est devenu en quelques années une référence internationale. Ou encore TagWalk de la française Alexandra Van Houtte, ex-assistante styliste, qui un jour, depuis son canapé aussi, a décidé de créer un moteur de recherche de la mode grâce auquel il est possible de trouver n’importe quelle pièce de n’importe quel défilé en pianotant quelques mots-clés. Son invention est si révolutionnaire que Carmen Busquets, célèbre femme d’affaires vénézuélienne qui a construit sa fortune en investissant dans des sites Internet de mode très haut de gamme, a décidé d’investir dedans.

« Les débouchés ne sont pas nombreux »

Si Imran Ahmed et Alexandra Van Houtte ont pu s’assurer un avenir professionnel, beaucoup d’étudiants s’inquiètent du leur. « Niveau employabilité nous sommes quand même limités, me dit Léa, étudiante aux beaux-arts de Paris. Les débouchés ne sont pas nombreux et les passerelles vers d’autres voies quasi impossibles ! » Sophie Fontanel préfère relativiser puisque, primo, cette crainte par rapport à l’emploi est partagée par tous les étudiants, toutes disciplines confondues ; deuzio, ce sentiment se baserait plus sur des fantasmes que sur la réalité selon elle, « ça vient beaucoup d’une angoisse qui leur a été transmise, on n’a pas arrêté de leur dire que c’est dur et compliqué. Ce sont les adultes qui ont convaincu les jeunes que ce n’est pas facile, notamment pour garder leur place ! ».

Et de conclure, du haut de ses trente années d’expérience : « Je ne crois pas qu’il faut être méritant. Il faut être audacieux et lucide surtout ! »

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