Plus de 600 kilos d’ivoire détruits à Antibes
Plus de 600 kilos d’ivoire détruits à Antibes
Par Pierre Le Hir
L’ONG IFAW et l’Office national de la chasse et de la faune sauvage veulent tarir un marché qui encourage le braconnage des éléphants.
Défenses d’éléphants collectées par l’IFAW dans le cadre de l’opération #JeDonneMonIvoire. / IFAW
Des défenses d’éléphant, dont une paire de « trophées » de 120 kg, des statuettes, sculptures, bracelets, colliers et objets décoratifs… C’est un ensemble de plus de 600 kilos d’ivoire qui devait être détruit dans un concasseur, mercredi 30 mai à Antibes (Alpes-Maritimes), les débris étant ensuite incinérés. Une opération menée conjointement par le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW) et l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), désireux d’accomplir « un geste fort en faveur de la protection des éléphants ».
En février 2014 déjà, la France avait réduit en poudre trois tonnes d’ivoire au pied de la tour Eiffel. Depuis, l’IFAW a procédé par lui-même à plusieurs destructions, notamment celle d’un lot d’une demi-tonne, le 24 avril à Reims (Marne). L’ONG, qui œuvre à la protection des animaux et de leurs habitats, a en effet relancé, début février, son opération #jedonnemonivoire.
Elle a ainsi collecté auprès de particuliers, sensibilisés par une campagne d’information et les réseaux sociaux, de nombreuses pièces en ivoire brut ou travaillé, afin de les éliminer. « C’est un acte symbolique, explique Julie Matondo, porte-parole de l’IFAW. Il s’agit d’empêcher que cet ivoire ne se retrouve sur le marché, car son commerce encourage le braconnage des éléphants. Nous n’avons pas besoin d’ivoire. Les éléphants, si ! »
Dépôts tenus secrets
A Antibes, I’ONG n’a apporté que 78 kg à broyer. L’ONCFS a fourni l’essentiel du stock, soit plus de 500 kg. Pour cet établissement public placé sous la tutelle des ministères de la transition écologique et solidaire et de l’agriculture, il s’agit de montrer qu’il ne défend pas seulement les intérêts des chasseurs, comme le lui reprochent ses détracteurs, mais qu’il lutte aussi, avec efficacité, contre les trafics d’animaux sauvages.
Une partie du stock d’ivoire saisi par l’ONCFS et détruit à Antibes. / ONCFS
Il dispose à cet effet, indique Loïc Obled, directeur de la police de l’établissement, d’un peu plus de 1 100 inspecteurs de l’environnement, en métropole et dans les outre-mer, ainsi que d’une brigade spécialisée de cinq agents chargés de faire respecter la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites).
Les pièces réunies proviennent pour partie de saisies réalisées depuis 2014, en collaboration avec la gendarmerie ou les services des douanes des aéroports ou des ports, alors que des trafiquants s’apprêtaient à les faire entrer sur le territoire national, ou à les en faire sortir. D’autres ont été confisquées lors d’opérations de police judiciaire, dans le cadre d’enquêtes sur des réseaux ou des transactions illicites. Avant leur destruction, elles ont été entreposées dans plusieurs dépôts tenus secrets, pour écarter tout risque de vol.
« Partie émergée » du trafic
Car le trafic d’ivoire reste très rentable, même si le cours de cette « matière première » a chuté depuis que la Chine, qui en constituait la principale destination mondiale, a annoncé, en 2015, sa décision d’en bannir le négoce à compter du 1er janvier 2018. Alors que sa cote approchait 2 000 euros le kilo en 2014, elle était trois fois moindre en 2017, selon une étude de l’ONG Save The Elephants.
L’Union européenne est concernée au premier chef, puisqu’elle est devenue le premier exportateur vers l’Asie. Comme d’autres pays, la France, du fait de son passé colonial avec l’Afrique, en a accumulé de grandes quantités. Mais, depuis 2016, l’Etat a durci la réglementation, précisée par un arrêté de mai 2017. La vente et l’achat d’ivoire brut sont désormais strictement interdits, de même que ceux de cornes brutes de rhinocéros. Il subsiste en revanche des dérogations pour les objets en ivoire façonnés avant 1947 (ce sont alors des antiquités) ou, sous certaines conditions, pour ceux fabriqués avant 1975, année d’entrée en vigueur de la Cites.
Une collection de « trophées » saisis par les agents de l’ONCFS. / ONCFS
« Distinguer l’ivoire légal de l’ivoire illégal est très difficile. Le commerce licite permet de blanchir l’ivoire illicite », souligne l’IFAW. « Le stock détruit à Antibes ne constitue que la partie émergée d’un trafic auquel Internet a donné une nouvelle ampleur, ajoute Loïc Obled. Notre message est simple : mettre en vente de l’ivoire brut ou des objets travaillés alimente un marché qui conforte les filières mafieuses et le braconnage des éléphants. Il faut l’assécher pour protéger la biodiversité. »
Le dernier recensement – le Great Elephant Census, dont les résultats ont été publiés en 2016 – a établi qu’en Afrique, la population des éléphants de savane a décliné de 30 % entre 2007 et 2014, pour tomber à 350 000 individus. Leur nombre était estimé à 1 million dans les années 1970 et… à plus de 20 millions avant la colonisation européenne. Chaque année, plus de 20 000 pachydermes sont tués pour leur ivoire.