L’Asie friande de gastronomie française
L’Asie friande de gastronomie française
Par Simon Leplâtre (Shanghaï, correspondance)
Depuis 1991, Le Cordon-Bleu a ouvert des établissements au Japon, en Corée, en Malaisie, à Taïwan… Reportage à Shanghaï, où le groupe s’est implanté en 2015.
Les 35 écoles Cordon-Bleu revendiquent 20 000 étudiants en gastronomie dans le monde. / JUSTIN SULLIVAN / AFP
« Chef Jérôme » n’a pas besoin d’examiner longtemps la Sachertorte, ce fameux gâteau viennois au chocolat, pour asséner sa sentence : « Ton glaçage n’est pas assez brillant, tu as dû le faire trop épais. » Une forte odeur de chocolat plane sur l’atelier de l’école Le Cordon-Bleu, à Shanghaï. Une quinzaine de Sachertorte ont été réalisées par les étudiants chinois du cours intermédiaire. Certains sont plus réussis : « La coupe n’est pas très précise, mais le reste est très bien, avec ça tu passes l’examen final », assure Jérôme Rohard à une jeune femme.
« Ils apprennent vite », assure Philippe Clergue – alias « chef Philippe » –, le directeur exécutif de l’école de Shanghaï. « Il y a six mois, certains n’avaient jamais épluché une pomme de terre de leur vie », renchérit Jérôme, fier des progrès accomplis en si peu de temps. Certains aspects de la cuisine française sont exotiques aux yeux des Chinois, note-t-il : « La cuisson rosée pour des côtes d’agneau, ce n’est pas dans la culture chinoise, mais maintenant certains apprécient. »
Ambassadeur
Former à la rigueur de la haute cuisine et des saveurs traditionnelles françaises, telle est la mission que s’est donnée ce réseau d’écoles privées, qui se pose en ambassadeur de « l’art de vivre à la française » à l’étranger. Pour assurer la transmission, une douzaine de chefs français se relaient. Ils alternent des démonstrations avec traduction simultanée, où une soixantaine d’élèves assistent à l’exécution d’une recette, avec miroirs et caméras au-dessus du plan de travail pour que personne ne perde une miette du déroulement du travail, et des ateliers en petits groupes pour la mise en pratique. En France, Cordon-Bleu Paris propose toute une palette de bachelors en arts culinaires, hôtellerie internationale, restauration, vin…
L’école de Shanghaï est la dernière représentante du succès de la marque en Asie, où le groupe a égrené ses implantations ces dernières années : Tokyo en 1991 – l’école y est connue sous le nom de « Petite France au Japon » –, Corée en 2002, Thaïlande en 2006, Malaisie en 2012, Taïwan en 2015… Ouverte en avril 2015, l’école chinoise a bénéficié de la renommée de ce label, inauguré en 1895 à Paris, qui a formé des chefs dans le monde entier : lors de l’ouverture des inscriptions, deux ans après avoir annoncé son arrivée, une longue liste d’attente s’est rapidement formée pour intégrer Cordon-Bleuleu Shanghaï, créée en joint-venture avec la Shanghai Business & Tourism School.
« Les écoles de Paris ou de Londres reçoivent beaucoup d’étudiants asiatiques, qui contribuent à la renommée de l’école ici », explique Philippe Clergue. Le groupe Cordon-Bleu, détenu par André Cointreau (descendant du créateur de la liqueur), compte 35 écoles et instituts dans le monde et 20 000 étudiants d’une centaine de nationalités différentes. L’ouverture d’autres établissements est envisagée en Chine, mais les dirigeants refusent d’en dire plus pour l’instant.
Passionnés et « fils à papa »
L’éducation à la gastronomie chez Cordon-Bleu n’est pas donnée à tout le monde. Les cursus classiques, cuisine et pâtisserie, qui durent neuf mois, coûtent 160 000 yuans (21 000 euros). Yu Li (ou « Loïc », son nom français) se passionnait pour la cuisine depuis l’enfance, raconte-t-il. Mais pour ses parents, hors de question de faire ce métier épuisant qu’ils connaissaient trop bien : ils tenaient eux-mêmes un restaurant à Shanghaï. « J’étais bon à l’école, alors ils m’ont poussé à étudier », témoigne Yu Li. Mais après de brillantes études et dix ans dans la finance, le jeune homme décide de changer de vie. « Cuisiner est très exigeant, très fatigant. Mais quand je finis un plat, et qu’il est réussi, il y a un sentiment d’accomplissement particulier », dit-il tout sourire. Les passionnés côtoient quelques « fils à papa », attirés par un diplôme reconnu sans prérequis universitaire.
Mais pour l’obtenir, encore faut-il accepter une discipline de fer. Certains étudiants de Cordon-Bleu sont un peu surpris en arrivant, relatent les chefs. Les élèves portent un uniforme. Ils doivent laisser leur téléphone portable à l’entrée de la classe, lors des démonstrations. Les retards ne sont pas tolérés au-delà de cinq minutes, et trop de retards mènent à une exclusion. Lors des ateliers, quand le chef annonce qu’il reste « vingt minutes » pour finir leur plat, les élèves répondent en chœur (et en français) : « Oui chef ! »
« La cuisine est un milieu très dur, il faut de la discipline, de la rigueur, de la concentration, justifie Philippe Clergue. Pour certains, il y a du travail… »
Des suppléments et un salon du « Monde », pour partir à l’étranger
Le Monde a publié, dans son édition datée du 24 mai, un supplément de huit pages consacré aux écoles dans les secteurs de l’excellence française – la fameuse « french touch » –, qui permettent à leurs diplômés de partir étudier ou travailler à l’étranger. Ses articles sont progressivement mis en ligne sur cette page du Monde Campus. Dans l’édition datée 5 juin, un cahier spécial sera consacré aux destinations préférées des expatriés et à l’impact de la vague numérique sur l’offre d’emploi à l’international.
Le Forum Expat 2018, organisé par le groupe Le Monde mardi 5 juin (jusqu’à 21 heures) et mercredi 6 juin à la Cité de la mode et du design, à Paris, réunira de nombreux acteurs de l’expatriation et d’anciens expatriés, pour permettre aux candidats au départ de s’informer pour travailler, entreprendre, vivre au quotidien et gérer son patrimoine à l’étranger. Sont également prévues des conférences thématiques animées par des journalistes de Courrier international et des experts en mobilité. Entrée gratuite, préinscription recommandée.