Chronique. Au Cameroun, les appels au dialogue se multiplient en même temps que les images de violence en provenance des régions anglophones. Oui, il faut dialoguer. Sauf que dans les guerres civiles et autres conflits armés, le dialogue n’est jamais le fruit du hasard. Il intervient dans des conditions particulières. Les seuls appels au dialogue, même bien intentionnés, ne produiront donc aucun effet si nous ne comprenons pas les dynamiques qui conduisent à la table des négociations.

Dans un article de recherche intitulé « How civil wars end » (« comment les guerres civiles se terminent »), les politologues David Mason et Patrick Fett, de l’université de Memphis (Massachusetts), essaient précisément de répondre à cette question. D’après leur modèle, quatre paramètres fondamentaux déterminent le choix des acteurs d’un conflit armé de poursuivre la guerre ou d’opter pour le dialogue.

Supériorité militaire

Premièrement, la probabilité de succès. Plus la victoire militaire d’une des parties est probable, moins les chances de dialoguer sont fortes. Dans le cas camerounais, tant que le régime de Paul Biya aura la certitude de sa supériorité militaire, il ne sera pas incité à s’asseoir à la table des discussions. Paradoxalement, le renforcement des milices séparatistes, et donc le durcissement de la guerre, pourrait permettre ce dialogue.

Deuxièmement, le bénéfice escompté. A quelques mois d’une élection présidentielle délicate pour le pouvoir camerounais, un dialogue imposé apparaîtrait comme un aveu de faiblesse. D’autres foyers de tension pourraient surgir. En revanche, une victoire militaire pourrait rapporter d’importants dividendes politiques.

Troisièmement, le coût du conflit. Plus ce coût est élevé pour une ou les deux parties, plus l’option du dialogue devient attractive. Pour l’instant, même s’il est loin d’être négligeable (mort de soldats, mauvaise publicité, coût financier, etc.), le coût de la guerre est tolérable pour Yaoundé. L’équation est différente pour les séparatistes, qui n’étaient pas préparés à une situation de guerre et dont les ressources sont relativement faibles.

Enfin, la durée du conflit. Plus la guerre se poursuit, plus l’option du dialogue apparaîtra préférable à une poursuite des opérations militaires.

Suivant le modèle de Mason et Fett, la probabilité la plus forte à ce stade est que la guerre en zone anglophone va poursuivre jusqu’à ce que l’une des forces abandonne et négocie un cessez-le-feu. Mais cette voie serait trop coûteuse en vies humaines. Et peu importe le vainqueur, le Cameroun en sortirait grandement perdant.

Accusation d’ingérence

Bien entendu, il reste l’option de la médiation. C’est la plus raisonnable. Pour autant, aucune médiation interne ne convaincra un régime sûr de sa supériorité sur son adversaire de déposer les armes. En revanche, les puissances occidentales disposent d’innombrables leviers pour faire bouger le pouvoir camerounais. Mais elles risquent une accusation d’ingérence par un régime qui, bien que dépendant de toutes sortes d’aides internationales (militaires, financières, etc.), n’hésiterait pas à jouer la carte de la souveraineté bafouée pour consolider sa position.

Nul doute que des pressions discrètes sont exercées en coulisses, mais seule une action forte (sanctions internationales, embargo, menace de mandats d’arrêt, etc.) pourrait contraindre le pouvoir camerounais à l’apaisement. Celle-ci serait risquée, car elle pourrait radicaliser le régime et le rendre incontrôlable. Or au vu de l’importance du Cameroun dans la région, des intérêts occidentaux sur place et de l’absence d’une alternative crédible à Paul Biya, pour ces puissances, le coût du statu quo pourrait apparaître préférable au coût de l’inconnu.

Pour les Camerounais, cependant, le statu quo a un goût de condamnation à mort. La situation exige d’être pragmatique. A court terme, il faudrait viser l’obtention d’un cessez-le-feu, qui ramènerait le calme dans les régions anglophones et épargnerait des vies humaines. Ce serait déjà une victoire. Pour y arriver, une équipe de médiateurs consensuels, mandatée par l’Union africaine et soutenue par l’ONU et les partenaires du Cameroun, devrait être mise sur pied.

Elle devrait déclarer que la sécession du Cameroun n’est pas souhaitable, ce qui aurait pour effet de réduire davantage la probabilité de succès du projet ambazonien et, par conséquent, d’augmenter celle d’un dialogue. Dans la foulée, elle devrait négocier un cessez-le-feu avec les leaders sécessionnistes. En contrepartie d’une cessation des combats, le président Biya, qui a aussi intérêt à un retour au calme, s’engagerait à libérer, sans condition, tous les militants anglophones emprisonnés, à amnistier les militants sécessionnistes et à indemniser et reloger les populations civiles qui ont tout perdu dans ce conflit.

Quid du dialogue ? Il pourrait ne pas intervenir immédiatement, mais les militants de la cause anglophone ont gagné la guerre culturelle : la question anglophone est au cœur du débat public camerounais. Le dialogue est désormais inéluctable.

Yann Gwet est un essayiste camerounais.