Procès des violences du 1er-Mai : une clé Allen est-elle une arme ?
Procès des violences du 1er-Mai : une clé Allen est-elle une arme ?
Par Henri Seckel
Huit prévenus étaient jugés en comparution immédiate, mercredi 30 mai, pour « participation à un groupement formé en vue de commettre des violences ou des dégradations ».
Comme en début de mois lors des premières audiences, l’absurde s’est à nouveau invité mercredi 30 mai devant le tribunal correctionnel de Paris, où avait lieu la suite des comparutions immédiates post-1er-Mai. Placés en garde à vue après les violences survenues pendant la manifestation dans la capitale, huit prévenus étaient jugés pour « participation à un groupement formé en vue de commettre des violences ou des dégradations ».
La première à la barre est une frêle apprentie vitrailliste de 24 ans, interpellée près du lieu des heurts. La police allait trouver dans son sac à dos trois clés Allen, ces « L » métalliques à bout hexagonal. Des « clés Ikea », schématise son avocat, tandis que le parquet lui reproche un port d’arme. « Ces clés étaient rangées au fond de mon sac, ce sont de tout petits outils que j’utilise quotidiennement, qui peuvent servir à la construction ou à la pose de vitraux », se défend l’intéressée d’une voix fine, en se triturant les bras d’angoisse. Puis, posant l’index en trois endroits du pupitre devant elle : « Celles que j’avais sur moi permettraient de dévisser cette vis-ci, cette vis-ci et cette vis-là. »
« Elle allait peut-être démonter un meuble Ikea ? C’est la seule dégradation qu’on peut commettre avec une clé Allen ! », raille son avocat. « L’action de la police, c’est de prévenir les violences, répond le procureur, qui requiert quatre mois avec sursis – décision le 9 juillet. On ne lui reproche pas d’avoir cassé quelque chose, mais d’avoir participé à un groupement formé en vue de le faire. » Une infraction éreintée par les avocats de la défense : « infraction fourre-tout », « infraction putative », « association de malfaiteurs du pauvre »…
« C’est une honte d’avoir des dossiers comme ça »
Au fil de l’audience, les prévenus se voient reprocher la possession de lunettes de piscine (utiles contre les gaz lacrymogènes), de vêtements noirs, de gants. « C’est avec ces objets que le tribunal va caractériser l’appartenance à un groupement formé en vue de commettre des violences ?, s’étrangle un avocat. J’ai l’impression d’être dans Minority Report [film de Steven Spielberg] : vous avez des gants noirs, c’est sûr que vous allez commettre une infraction ! »
« C’est une honte d’avoir des dossiers comme ça en comparution immédiate, fustige l’avocat de la vitrailliste face au juge. C’est une honte que je sois obligé de plaider qu’une clé Allen n’est pas une arme. Ma cliente était dans le cortège de tête ? Il y avait 14 000 personnes dans le cortège de tête ! Si un dossier pareil doit passer devant vous, alors il vous reste 13 999 dossiers à traiter. »