« Le boom de l’art africain n’a que peu d’intérêt si les Africains eux-mêmes ne l’achètent pas »
« Le boom de l’art africain n’a que peu d’intérêt si les Africains eux-mêmes ne l’achètent pas »
Propos recueillis par Josiane Kouagheu (Douala, correspondance)
Diane Audrey Ngako organise Douala Art Fair, la première foire d’art contemporain et de design du Cameroun.
Il y a douze ans, dans une brocante au centre de la France, Diane Audrey Ngako achetait son premier tableau d’un artiste africain. Prix : 2,50 euros. Au fil des années, sa passion a grandi et sa collection s’est élargie d’œuvres camerounaises, nigérianes, sénégalaises ou kényanes. Après avoir vécu plus de dix ans en France, cette jeune femme passée par Le Monde Afrique est retournée dans son pays natal et a créé la première foire d’art contemporain et de design du Cameroun, Douala Art Fair, qui se tiendra samedi 2 et dimanche 3 juin dans la capitale économique du pays.
Qu’est-ce qui vous a poussée à organiser Douala Art Fair ?
Diane Audrey Ngako Depuis mon retour au Cameroun, en 2016, je me suis rendu compte que le secteur de la culture est délaissé. Lorsque les Camerounais et les étrangers investissent, c’est dans l’agriculture, la santé ou l’éducation. Or j’ai toujours pensé que c’est par la culture qu’allait se structurer notre pays. Le Cameroun compte 24,5 millions d’habitants mais une seule galerie, la galerie MAM, à Douala, qui existe depuis vingt-trois ans. On a donc décidé de créer une foire où 25 artistes camerounais présentent leur travail et où des galeries sont invitées. Douala Art Fair naît de la volonté de proposer un espace, un marché, dans un cadre qui ne s’y prête pas vraiment.
Nous voulons que les locaux comprennent ce que c’est que l’art, qu’ils s’y intéressent et développent des émotions, en espérant que, dans cinq ou dix ans, ils trouveront normal d’acheter ces œuvres. Regardons des artistes comme Barthélemy Toguo, qui a une excellente cote. Alors qu’il y a trente ans ses œuvres coûtaient 300 euros, il est rare d’en trouver une à moins de 28 000 euros aujourd’hui si ce n’est pas une lithographie. Si les Camerounais avaient parié sur cet artiste à l’époque, les œuvres qu’ils auraient eu chez eux coûteraient cent fois plus aujourd’hui. Nous voulons montrer aux hommes d’affaires et aux entreprises locales qu’au-delà de l’acte citoyen, soutenir l’art, c’est aussi faire du business.
Quels bénéfices peuvent tirer les artistes camerounais qui participent à Douala Art Fair ?
Notre but est de leur permettre de rencontrer leur public et de leur donner une certaine visibilité sur le plan international. On a par exemple reçu une femme, Hind Ahmad, dont la galerie à Beyrouth cartonne au Moyen-Orient et qui vient d’en ouvrir une nouvelle à Abidjan. Elle voulait rencontrer des artistes à Douala. Nous lui en avons présenté quatre, dont elle a acheté des œuvres. Notre job est de créer une connexion entre les galeries et les artistes qui repensent le monde alors qu’on les marginalise tout le temps. Ils peignent nos réalités, ce qu’ils pensent et ce qu’ils voient. Nous voulons les faire connaître des Camerounais et que, dans cinq ou dix ans, on ait créé une petite génération d’acheteurs locaux. Car pour moi, le boom de l’art contemporain africain n’a que peu d’intérêt si les Africains eux-mêmes n’achètent pas les œuvres de leurs artistes.
La côte de l’art africain augmente grandement. Est-ce un effet de mode ?
Je ne le pense pas. Pour donner de la valeur à notre création, il fallait créer sur le plan marketing une sorte de printemps pour qu’à un moment, le monde entier regarde la création africaine. Les gens pensent que c’est un effet de mode parce qu’il s’agit généralement d’événements uniquement africains. Mais dès lors qu’on sortira de ce « spécial Afrique », il sera naturel de voir une exposition où un artiste congolais expose à côté d’un artiste français ou chinois. C’est vers ça qu’on doit aller.
Pourquoi l’art contemporain reste méconnu du public au Cameroun ?
Depuis des années, quand on parle de culture ou d’artistes au Cameroun, on pense à la musique. On est dans un pays qui ne laisse pas l’opportunité de s’exprimer. Quand tu es petit, si tu veux pleurer, on te demande d’arrêter de pleurer ; si tu veux parler, on te demande d’arrêter de parler. Finalement, à aucun moment on ne te demande ton avis.
Que faire pour développer ce secteur ?
Pour exposer nos artistes dans les plus belles galeries du monde, nous avons besoin de former des personnes aux métiers de l’art : commissaires d’exposition, agents d’artistes, galeristes, vendeurs d’art… Ce qui n’est vraiment pas le cas au Cameroun et dans la sous-région. Le gouvernement doit accompagner, intégrer l’art plastique dans les programmes scolaires, sensibiliser les jeunes.
Nos pays doivent aussi soutenir financièrement l’art. Pour l’organisation de Douala Art Fair, par exemple, nous n’avons pas de sponsors. Même le gouvernement ne nous a pas aidés. J’ai l’impression que c’est la société civile qui fait le travail et que c’est vers le secteur privé ou l’étranger qu’il faut se tourner pour solliciter des fonds.