Genève, en ses jardins
Genève, en ses jardins
Par Lucien Jedwab
Le thème de l’édition 2018 de Rendez-vous aux jardins est « L’Europe des jardins ». Genève et sa région en abritent quelques-uns, remarquables. Certains, comme le Jardin botanique ou le potager du château de Prangins, sont exceptionnels.
Vue du Jardin botanique de Genève. / L. JEDWAB/"LE MONDE"
Différentes institutions culturelles d’une quinzaine de pays européens célèbrent ce week-end « L’Europe des jardins » (à l’exception notable du... Royaume-Uni). En Suisse, Genève et ses environs, jouissant d’une situation géographique privilégiée et d’une prospérité... enviable, en sont dotés de quelques-uns de tout à fait remarquables. L’existence de ces jardins a bien sûr à voir avec l’Histoire. A commencer par les Conservatoire et Jardin botaniques de la ville de Genève, qui ont récemment célébré leurs 200 ans. Cet anniversaire à été l’occasion pour l’institution scientifique genevoise de rendre hommage à son principal fondateur, Augustin-Pyramus de Candolle (1778-1841). Celui-ci a été un pionnier de la botanique, jouant un rôle essentiel dans le recensement et la description des plantes, d’abord en France, dans la période qui a suivi la Révolution, puis dans sa ville d’origine. On lui doit ainsi l’invention du terme « taxonomie », science des lois de la classification.
Buste de Candolle, par James Pradier (1845). Pour en savoir plus : « Augustin-Pyramus de Candolle. Une passion, un jardin », Favre/Conservatoire et Jardin botaniques de Genève, 2017. Ses « Mémoires et souvenirs » ont été publiés en 2003 par la Bibliothèque d’histoire des sciences (Georg éd.), à Genève. / L. JEDWAB/"LE MONDE"
Situé lors de son inauguration dans l’actuel parc des Bastions – qui abrite le très austère monument dédié aux Réformateurs –, le conservatoire botanique créé par Candolle a emménagé en 1904, avec ses collections végétales, à la périphérie de la ville, non loin des bâtiments de l’ONU. Exceptionnelle, la bibliothèque, avec ses 100 000 volumes, et les millions d’échantillons des herbiers rassemblés par Candolle et ses successeurs (et aujourd’hui conservés dans d’anciens abris antiatomiques...) ont contribué à faire de Genève, en son temps, la « capitale de la botanique ». Les 28 hectares des jardins – traversés, pour l’anecdote, par le chemin de l’Impératrice (Joséphine de Beauharnais séjourna au château proche de Pregny) – sont dotés, entres autres, de grandes serres, d’un riche jardin de rocaille ou d’une belle allée de platanes plusieurs fois centenaires.
Vue d’une des serres du Jardin botanique de Genève. / L. JEDWAB/"LE MONDE"
Autre jardin tout aussi unique, le potager historique du château de Prangins, à quelques dizaines de minutes de Genève. Réaménagé au XVIIe siècle, l’ancien château féodal, transformé en résidence d’agrément, a appartenu, au XIXe siècle, à un futur général suisse, avant d’abriter, jusqu’en 1920, un pensionnat très chic. Entre-temps, Voltaire lui-même, victime de l’arbitraire monarchique en France, séjourna à Prangins en 1754, puis aux « Délices », près de Genève, avant de franchir à nouveau la frontière et de s’installer à Ferney. Joseph Bonaparte, le frère aîné de Napoléon Ier, sera un temps propriétaire du domaine.
Vue du château de Prangins, avec, au premier plan, le haut du mur d’enceinte du potager. / L. JEDWAB/"LE MONDE"
Le potager, lui, sera aménagé dès 1729 sur d’anciens fossés, avant même la finition du château. Sa conception, avec son tracé en croix et la répartition harmonieuse de ses plates-bandes, est inspirée des jardins médiévaux. Ses hauts murs de protection, sur lesquels s’appuient des fruitiers taillés en espalier, ceignent un espace de grande dimension (près de 100 mètres sur plus de 50), protégé des grandes variations de température et des intrusions. Sa physionomie, avec son bassin central, n’a pas changé depuis trois siècles.
Aujourd’hui, le château de Prangins est le siège romand du Musée national suisse, et le potager n’a plus pour seule fonction d’être un jardin nourricier. Deux cents variétés anciennes y sont cultivées, sous la supervision de son conservateur, Bernard Messerli. Celui-ci rappelle avec amusement que la pomme de terre n’a pas toujours eu le succès qu’elle connaît de nos jours, et qu’on l’a accusée de nombreux maux, avant que les disettes de la fin du XVIIIe siècle ne la mettent sur la table des pauvres comme des riches. Ayant réhabilité depuis longtemps des méthodes traditionnelles, les jardiniers pratiquent avec mesure la rotation des cultures et ont recours aux engrais verts, comme le compost, bien sûr, mais aussi le sarrazin ou le lupin, fauchés et laissés sur place pour nourrir le sol.
Le château de Prangins vu depuis le potager. / MUSÉE NATIONAL SUISSE
La fonction didactique du potager est illustrée par des plantations thématiques. Les plantes médicinales ou les herbes « aromatiques et condimentaires » y sont à l’honneur, bien sûr. Mais les plantes toxiques y sont également présentées, afin de mettre en garde les cueilleurs amateurs imprudents. Il est rappelé au passage que le poison peut être aussi dans la quantité... Un centre d’interprétation du potager, « Le jardin dévoilé », explique de manière vivante la production des légumes et des fruits au fil des saisons. Le château lui-même, en dehors de la vue qu’il procure sur les jardins et le Léman, abrite une exposition permanente : « Noblesse oblige ! La vie de château au XVIIIe siècle. » Et, actuellement, une passionnante exposition temporaire : « Indiennes. Un tissu révolutionne le monde ! » (jusqu’au 14 octobre).
Parc des « Délices », l’actuel Musée Voltaire, à Genève. / L. JEDWAB/"LE MONDE"