Kanye West et son album bipolaire
Kanye West et son album bipolaire
Par Stéphanie Binet
Le rappeur de Chicago met sa bipolarité en scène dans son nouvel album, premier disque de plusieurs productions à sortir ce mois-ci.
Kanye West lors des MTV Video Music Awards, le 28 août 2016 à New York. / Chris Pizzello / AP
Un artiste dérangé enregistre-t-il une meilleure musique que s’il était sain d’esprit ? C’est la question que semble nous poser le rappeur et producteur Kanye West dans son nouveau disque Ye, publié vendredi 1er juin. Un album qui a d’ailleurs le format d’un EP - « extended play » -, seulement sept chansons pour trente minutes de musique.
Un effort restreint compensé par une surproduction ce mois-ci. Ye est en effet le premier d’une série de quatre disques qui vont sortir en ce mois de juin. Le vendredi 8, il rendra publique sa collaboration avec son collègue de Cleveland Kid Cudi, puis celle avec le New-Yorkais Nas, une des meilleures plumes du hip-hop, avant Teyana Taylor, une des signatures de son label GOOD music.
Sur la pochette de Ye, une photo des montagnes du Wyoming où il a enregistré son disque, il écrit : « Je déteste être bipolaire, c’est génial. » Le rappeur de Chicago entretient sa folie jusqu’à la lie, quitte à s’en écœurer lui-même, et surtout tous ceux qui se retrouvent spectateurs de ses déclarations insensées sur l’esclavage ou sur la politique américaine.
C’est cette bipolarité que ce compositeur de la culture hip-hop, qui a d’ailleurs, par le passé, signé des classiques comme The Late Registration ou l’avant-gardiste 808s & Heartbreak, a choisi de mettre en scène, tout d’abord en donnant son surnom Ye au titre du disque. Ses changements d’humeur brutaux, son hystérie violente et sa dépression profonde sont illustrés jusque dans le tempo de ses chansons, puis dans l’ensemble de l’album, qui démarre sur un titre anxiogène, I thought about killing you, un monologue sinistre où Kanye West promet de tuer son personnage public, Ye, sa femme, Kim Kardashian ou ses fans… Le « you » général de langue anglaise entretenant l’incertitude.
Nombreux invités
Suivent trois morceaux virulents dont Yikes, sur sa consommation vertigineuse d’opioïdes, et All mine, sur son infidélité misogyne (« J’adore tes seins car ils prouvent que je peux me concentrer sur deux choses à la fois »). L’album se termine par quatre titres plus apaisés et plus soul : Wouldn’t Leave, une chanson à sa femme qu’il incite à le quitter si son esprit « libre » la dérange ; No Mistakes avec le chanteur de The Gap Band, Charlie Wilson ; Ghost Town, un dialogue entre lui et l’enfant qu’il a été et Violent Crimes, dédié à ses deux filles.
Le génie de Kanye West se révèle d’ailleurs dans ces quatre derniers morceaux dans le choix de ses samples, de ses invités (Ty Dolla $ign, PartyNextDoor, Jeremih, Kid Cudi, John Legend, Dej Loaf, Nicki Minaj, Willow Smith, Charlie Wilson, Valee) qu’il met en valeur comme le bon producteur de studio qu’il a toujours été. Ainsi dans Ghost Town, il échantillonne la voix d’une chanteuse de gospel des années 1960, Shirley Ann Lee, qu’il additionne à celle éraillée de son ami John Legend, qui avait pourtant été tellement déçu après son ralliement à Donald Trump.
Orgue et cymbales typiques des orchestres d’église qui accompagnent les transes des fidèles, mêlés au vrombissement d’une guitare électrique, donnent une profondeur définitivement spirituelle à cette chanson, toute en introspection. C’est la rappeuse et chanteuse du New Jersey, 070 Shake, qui signe le dernier couplet sublime de cette chanson ainsi que l’introduction de Violent Crimes. Pour ces deux derniers morceaux, nous serions presque prêts à absoudre Kanye West de ses péchés, mais un Ye dérangé, c’est quand même mieux apaisé, bien entouré et inspiré.