Hommage dansant à Ingmar Bergman
Hommage dansant à Ingmar Bergman
Par Rosita Boisseau
Le cinéaste suédois, dont on fête le centenaire de la naissance, est mis à l’honneur au Théâtre des Champs-Elysées.
Alexander Ekman, Mats Ek et Johan Inger, les trois chorégraphes de « Dancing with Bergman ». / JEAN-PHILIPPE RAIBAUD
Ils sont assis les uns à côté des autres. Bien sages, souriants, en promo orchestrée pour Dancing with Bergman, une production qui dit tout (ou presque) dans son titre. Mats Ek (né en 1945), Johan Inger (né en 1967) et Alexander Ekman (né en 1985) composent cette escadrille suédoise qui la joue sérieux et semble aussi avoir envie de s’amuser. Trois générations de chorégraphes pour un hommage, l’occasion est unique en son genre. « C’est une jolie rencontre que ce programme nous offre, déclare Mats Ek, figure du spectacle vivant depuis les années 1980. Nous faisons le même job, nous venons du même pays, c’est un plaisir de partager une soirée ensemble. »
Ces artistes réunis autour de l’œuvre de leur compatriote, le cinéaste Ingmar Bergman (1918-2007), dont on fête le centenaire de la naissance cette année, s’attaque à forte partie. Par quel bout attaquer le continent Bergman, sa sauvagerie froide, son dépeçage de l’inconscient ? Comment se risquer à rêver autour de films comme Le Septième Sceau (1972) ou Cris et chuchotements (1972) ou encore Scènes de la vie conjugale (1973) ? Le défi est dément.
Ana Laguna et Mats Ek dans « Memory (2000-2018) ». / ERIK BERG
Mats Ek, dont le propos est noyauté par la psychanalyse, a décidé de reprendre et d’approfondir un duo au long cours sur l’amour conjugal intitulé Memory (2000-2018), créé avec sa femme Ana Laguna. Johan Inger a vu et revu les films de Bergman et tressé 4 Karin avec quatre danseuses tandis qu’Alexander Ekman la joue solo dans Thoughts of Bergman, entrelaçant ses textes et ceux du cinéaste sur du Chopin. Tout au long du programme, des projections d’images signées par Bengt Wanselius, photographe intime de Bergman pendant une vingtaine d’années, drainent les flux chorégraphiques et émotionnels.
Cimentée par des liens souterrains
La triplette est cimentée par des liens souterrains et c’est ce qui fait le sel de cette soirée insolite. Au-delà de l’attraction d’un projet dont l’accroche commerciale claque fort, l’alliance des chorégraphes raconte à sa façon tout un pan de l’histoire de la danse et du théâtre en Suède. « Mats et sa théâtralité, sa bizarrerie aussi et son humour, ont clairement influencé notre travail, affirment Inger et Ekman. Fils de Birgit Cullberg (1908-1999), créatrice du Cullberg Ballet en 1967, Mats Ek a travaillé dans la troupe de sa mère et l’a dirigée de 1985 à 1993. Inger en a pris les manettes de 2003 à 2008 tandis que Ekman y a été interprète au milieu des années 2000 et fait ses premiers pas de chorégraphe avec Flockwork en 2006. On se souvient, en 2007, d’une rencontre avec Johan Inger, à Stockholm, évoquant sa proximité avec Mats Ek. « L’esprit suédois est notre point commun inaliénable, disait-il. Il y a chez nous une sorte d’humanisme triste, plein d’obscurité, qui va avec notre culture et nous habite profondément. »
« 4 Karin », de Johan Inger. / ERIK BERG
Sur un autre versant, le père de Mats Ek, Anders Ek, a été acteur de Bergman. Mats, lui-même, a collaboré avec le cinéaste comme assistant sur certaines de ses mises en scène comme Woyzeck, de Büchner, à la fin des années 1960. « Je me souviens l’avoir vu à la maison et avoir travaillé avec lui a laissé évidemment des traces, déclare Ek. Parallèlement, il étudie la danse moderne avec Donya Feuer (1934-2011) qui fut la collaboratrice chorégraphique longue durée de Bergman sur une vingtaine de films et de pièces de théâtre à partir de 1971. « Sans elle, la danse suédoise ne serait pas si intéressante », commente Ek.
Quatre portraits de femmes piégées
C’est précisément à partir du travail de Feuer avec le cinéaste que Johan Inger a conçu 4 Karin. « Je me suis appuyé sur le film réalisé en 1976 pour la télévision suédoise intitulé La danse des femmes condamnées », précise-t-il. En complicité avec la vidéaste Helène Friberg, Inger décline quatre portraits de femmes piégées sur la musique de Monteverdi utilisée dans l’œuvre originelle de Bergman.
« Thoughts of Bergman », de et avec Alexander Ekman. / ERIK BERG
Quant à Ekman, rebondissant sur son excellente mauvaise réputation de chorégraphe facétieux mais non sans sérieux comme l’a prouvé Play, succès du Ballet de l’Opéra national de Paris en décembre 2017, il a décidé de se jeter lui-même dans la bataille. Dans son solo Thoughts of Bergman, déjà édité en vidéo dans le documentaire Ingmar Bergman Through The Choreographer’s Eye, il dépote en se posant des questions comme « Quelle importance avaient les mouvements pour Bergman ? Que voulaient-ils exprimer ? Celui de la solitude, de la relation, de l’amour ? » Réponses en famille et en suédois dans Dancing with Bergman.
Ingmar Bergman through the choreographer's eye | Ekman•Isberg•Lidberg•Stephenson (DVD/BRD trailer)
Durée : 01:30
Dancing with Bergman. Mats Ek/Johan Inger/Alexander Ekman. Du 9 au 11 juin. Festival Transcendanses. Théâtre des Champs-Elysées, Paris 8e. Tél. : 01-49-52-50-50. De 15 € à 95 €. En tournée, les 12,13 et 14 juillet, à l’Opéra Garnier de Monaco.
Ingmar Bergman Through The Choreographer’s Eye, 1 DVD Bel Air Classiques.