L’annulation d’Israël-Argentine « a le potentiel pour déclencher un jour un boycott sportif »
L’annulation d’Israël-Argentine « a le potentiel pour déclencher un jour un boycott sportif »
Par Luc Vinogradoff
Le sociologue américain Tamir Sorek, spécialiste des liens entre sport et politique en Israël, estime que la décision argentine de ne pas jouer la rencontre pourrait avoir des conséquences à long terme.
L’affiche du match qui n’aura jamais lieu.
Pourquoi le match préparatoire à la Coupe du monde Israël-Argentine, prévu le 9 juin à Jérusalem, a-t-il été annulé ? Pour des raisons de sécurité, comme l’a clamé la Fédération argentine ? En raison des pressions du mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) et de la Fédération palestinienne, qualifiées de « vieux nouveau terrorisme » par la ministre des sports, l’ultranationaliste Miri Regev ?
Ni l’un, ni l’autre, estime l’Américain Tamir Sorek, professeur de sociologie à l’Université de Floride et spécialiste des liens entre sport et politique en Israël. Les « raisons de sécurité » invoquées par les Argentins « ne sont rien de plus qu’un prétexte. D’autres événements sportifs ont eu lieu en Israël en des circonstances bien plus compliquées. » La campagne du BDS ? « Elle a été importante, mais ils ont fait des efforts de ce type par le passé, sans le même succès. »
La différence, cette fois-ci, s’explique selon le chercheur par la situation politique israélienne. « Cette annulation a clairement un contexte politique et elle reflète aussi, à mon avis, la détérioration de l’image internationale d’Israël », estime Tamir Sorek.
La ministre des sports israélienne, Miri Regev, devant des images diffusées par BDS. / JACK GUEZ / AFP
Jusqu’au 5 juin, le match devait avoir lieu : les Palestiniens n’y trouvaient rien à redire, comme les Argentins qui avaient déjà encaissé le chèque valorisant leur venue en Israël, eux qui avaient déjà joué à Jérusalem par le passé. L’élément combustible est la décision de Miri Regev de déplacer le match de Haïfa à Jérusalem, moins d’un mois après l’inauguration de l’ambassade américaine à Jérusalem et la mort de 61 Palestiniens sous les balles israéliennes lors de manifestations à Gaza.
Le changement de stade pour le match amical, critiqué par les adversaires politiques et médiatiques du gouvernement Nétanyahou, doit être compris dans le contexte des célébrations des 70 ans de la création de l’Etat d’Israël.
« Utiliser le sport pour des gains politiques est une pratique ancienne, y compris en Israël, mais nous assistions ici à une phase bien plus intensive, analyse Tamir Sorek. Comme l’actuel gouvernement israélien ne montre aucune concession politique à l’opinion publique internationale, il a besoin de nouvelles voies pour atteindre une légitimité, qu’elle soit internationale ou interne. » L’une d’elles : accueillir des événements sportifs d’envergure internationale, comme l’invitation d’une icône du football mondial ou l’organisation, pour la première fois hors d’Europe, d’un grand tour cycliste.
Dès lors, le match a pris une tournure extra-sportive, d’ailleurs complètement assumée par le gouvernement israélien. Quand Jibril Rajoub prévenait ses homologues argentins que le match était devenu « un instrument politique », Miri Regev répondait dans le journal Maariv : « Bien sûr que je veux voir jouer un des meilleurs joueurs au monde à Jérusalem. Y a-t-il une meilleure propagande que ça ? »
La ministre a assuré que c’était la famille de Lionel Messi qui avait voulu que le match soit déplacé à Jérusalem, son père, Jorge, souhaitant que le joueur fasse le tour des lieux saints de la ville avant de jouer la Coupe du monde en Russie. Comme l’avait fait Diego Maradona avant de gagner celle de 1986. La famille Messi n’a pas confirmé cette information.
Le sport, moteur du boycott anti-apartheid
Un militant pro-palestinien montre un « carton rouge à Israël » lors d’une manifestation pour faire annuler le match contre l’Argentine. / PAU BARRENA / AFP
Même s’il est difficile pour eux d’en revendiquer totalement la paternité, les militants du BDS se félicitent de cette annulation au retentissement international. Pour autant, on ne peut pas, estime Tamir Sorek, « parler d’un boycott sportif, simplement parce que la Fédération argentine ne l’a pas présenté ainsi. Mais c’est une décision symbolique qui a le potentiel pour déclencher un jour un boycott sportif. »
Jusqu’ici, le boycott sportif d’Israël relevait surtout d’actions individuelles de sportifs iraniens ou issus de pays arabes préférant renoncer que d’affronter un adversaire israélien. Les cas sont nombreux dans les sports de combat, particulièrement depuis la fin des années 2000. C’est aussi en raison d’un boycott d’une majorité des pays arabes que dans les sports collectifs, Israël est versé dans la confédération sportive européenne
L’annulation argentine, même si elle n’est pas ouvertement politique, pourrait faire jurisprudence pour des pays moins directement impliqués dans le conflit israélo-palestinien. C’est en tout cas le rêve du BDS, dont le modèle est le boycott contre le régime de l’apartheid en Afrique du Sud dans les années 1970. Celui-ci a commencé, en 1956, par la suspension de l’Afrique du Sud de la Fédération internationale de tennis de table, qui a précédé celles dans le criquet, le rugby, le football et enfin le Comité international olympique.
En deux décennies, le boycott sportif a facilité le boycott culturel, académique et les sanctions économiques. Si on peut dresser des comparaisons entre les deux situations, il y a aussi beaucoup de différences, rappelle Tamir Sorek, et notamment la position des Etats-Unis, qui empêcheraient tout boycott général ou une suspension par la FIFA, jusqu’ici réticente à sanctionner Israël pour les matchs organisés dans les territoires occupés.
L’affaire argentine et ses retombées politiques dominent la presse et les débats en Israël depuis deux jours, et l’Etat hébreu s’inquiète déjà d’une autre possibilité de boycott : celui du concours Eurovision, qui doit se tenir en Israël en 2019. Les mêmes dynamiques qui ont précédé le match amical qui n’aura pas lieu se dessinent : des pétitions ont été lancées dont certains pays, comme l’Islande. Le gouvernement israélien assure qu’il aura lieu à Jérusalem et pas ailleurs.