Le silence est un art dans lequel excelle Joseph Kabila. Et le président sortant de la République démocratique du Congo (RDC) semble avoir initié en la matière son dauphin, Emmanuel Ramazani Shadary.

En dehors de ses meetings de campagne, le candidat du pouvoir, visé par des sanctions de l’Union européenne (UE) pour la répression de manifestations du temps où il était ministre de l’intérieur (2016-2018), a appris à se taire. M. Shadary est plutôt un dur, intransigeant et loyal, un temps en première ligne pour défendre la possibilité d’un troisième mandat de Joseph Kabila. Ce dernier reste « l’autorité morale de référence » de la majorité présidentielle.

Si les élections se déroulent dimanche 30 décembre, avec deux ans et une semaine de retard, et s’il est élu, malgré une campagne terne orchestrée par le régime avec de grands moyens, M. Shadary prolongera l’œuvre tant critiquée de son chef. Joseph Kabila, lui, n’exclut pas de revenir au pouvoir en 2023, et sera d’ici-là « consulté pour toute grande décision », selon l’un de ses conseillers qui évoque un « pacte » entre les deux hommes.

Un t-shirt de soutien au candidat Emmanual Ramazani Shadary, à Kinshasa, le 18 décembre.. / JOHN WESSELS / AFP

RDC : cinq choses à savoir sur Joseph Kabila
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Mais ce scénario est aussi incertain que la tenue des élections. Alors, le candidat de la majorité présidentielle se mure dans le silence, retient ses coups face à une opposition à la fois déroutée, réprimée et divisée. Cette dernière s’époumone à critiquer ce pouvoir et la Commission électorale (CENI) soupçonnée d’organiser la fraude.

La colère monte

En dernier recours, la coalition soutenant l’opposant Martin Fayulu a appelé à une journée ville morte dans tout le pays, vendredi 28 décembre. Un grand test périlleux de sa popularité et de sa capacité de mobilisation pour protester contre le report, à mars 2019, des élections à Beni et Butembo (Nord-Est) où sévissent Ebola et des groupes armés, de même qu’à Yumbi (Ouest) emportée par une spirale de violences communautaires. Au total, près de 1,2 million d’électeurs sont concernés par ce report dont une bonne partie, au Nord-Kivu, abhorre aujourd’hui M. Kabila – et son dauphin – pour qui elle avait pourtant voté en 2011.

A Beni, une poignée de jeunes gens est descendue dans la rue pour réclamer leur droit de voter. Certains s’en sont pris à des installations d’ONG et des Nations unies (ONU), considérées comme des complices du pouvoir, avant d’être dispersés par la police.

La colère monte au sein d’une population usée par l’attente, la misère, la répression et ce qui est de plus en plus perçu comme des manœuvres d’une CENI inféodée au pouvoir. Cette ire populaire risque d’être instrumentalisée par des groupes armés guidés par leurs propres intérêts ou influencés par des politiciens de l’opposition très influents dans cette région meurtrie par des tueries non élucidées depuis 2014 et toujours traumatisée par les deux grandes guerres du Congo (1996-1997 et 1998-2003).

« Trop, c’est trop. La CENI vient de dépasser la ligne rouge, dit Pierre Lumbi, ancien conseiller spécial en matière de sécurité de Joseph Kabila, désormais directeur de campagne de Martin Fayulu. On prend à témoin la communauté internationale et on l’interpelle pour qu’elle obtienne la levée de cette décision susceptible de fragiliser l’ordre et la stabilité. » Sauf que la « communauté internationale » est soigneusement tenue à l’écart par le régime Kabila qui a décliné les propositions de soutien logistique de la Mission des Nations unies (Monusco) mais aussi des Etats-Unis pour organiser ces élections dans ce pays immense, le plus grand d’Afrique francophone.

Le candidat de l’opposition à la présidence de la République démocratique du Congo, Martin Fayulu, à Kinshasa, le 27 décembre. / JEROME DELAY / AP

L’Union européenne accusée d’« ingérence »

La CENI, elle, a refusé la présence de tout observateur électoral occidental à commencer par le Centre Carter, une ONG américaine, et l’Union européenne (UE) qui avaient émis des critiques sur les élections de 2011.

Jeudi en fin d’après-midi, le ministre congolais des affaires étrangères a invité « instamment » l’UE à rappeler « dans les 48 heures » son ambassadeur à Kinshasa. « Un signal inquiétant », selon plusieurs diplomates, lancé à deux jours des scrutins. Une riposte du régime à l’encontre de Bruxelles qui a renouvelé, le 10 décembre, ses sanctions à l’encontre de M. Shadary et finance un collectif congolais (la Symocel) qui constitue le deuxième plus grand réseau d’observateurs électoraux, après l’Eglise catholique, avec 20 000 personnes déployées. Ce qui vaut à l’UE d’être accusée d’« ingérence ».

Dans ce climat de tensions, de suspicions et d’incertitude chaque jour un peu plus exacerbé, ces élections, censées permettre la première alternance pacifique depuis l’indépendance en 1960, préoccupent les neuf pays voisins et plus largement la sous-région. De la stabilité de la RDC dépend celle d’une grande partie du continent africain.

Une population avide de changement

Alors, de l’autre côté du fleuve Congo, à Brazzaville, les chefs d’Etat et ministres des affaires étrangères d’Afrique australe et des Grands Lacs ont tenu un mini-sommet de la dernière minute. Ils ont renouvelé leur « vive préoccupation face aux actes de violence qui ont émaillé la campagne électorale (…) de nature à compromettre la sérénité des élections ». Le pouvoir congolais, convié tardivement, n’y était pas représenté.

Le silence conjugué à l’absence fait partie de la stratégie d’un régime toujours certain de sa puissance même s’il doit gérer plusieurs conflits sur son territoire, des crises humanitaires, une situation économique désastreuse et la colère d’une partie de la population avide de changement. La majorité est persuadée de l’emporter dans les urnes.

L’opposition a déjà déclaré qu’elle contesterait la victoire de M. Shadary, laissant craindre le pire. Le lendemain du jour de vote, le 31, le Conseil de sécurité de l’ONU se réunit sur la RDC, qui cristallise toutes les peurs.

Joan Tilouine (Kinshasa, envoyé spécial)

  • Présidentielle à Madagascar : Andry Rajoelina déclaré vainqueur. L’ancien chef de l’Etat malgache Marc Ravalomanana, battu par son rival Andry Rajoelina à la présidentielle – selon les résultats rendus publics jeudi 27 décembre par la commission électorale –, a déposé des recours devant la Haute Cour constitutionnelle pour les contester, a annoncé son directeur de campagne. A l’issue d’un second tour très disputé, qui s’est tenu le 19 décembre, Andry Rajoelina, également ex-président de Madagascar (2009-2014), a remporté 55,66 % des suffrages, contre 44,34 % pour M. Ravalomanana, son prédécesseur à la tête de l’Etat (2002-2009), aujourd’hui âgé de 69 ans. L’élection présidentielle a été marquée par des accusations mutuelles de fraude de la part des deux candidats finalistes, qui ont dépensé sans compter et multiplié les promesses pour l’emporter. Leur campagne aux allures de règlement de comptes a largement occulté les problèmes de fond du pays, l’un des plus pauvres du continent africain et sujet à l’instabilité politique depuis son indépendance en 1960. Commentant sa victoire devant la presse au siège de la commission électorale, M. Rajoelina a estimé que « le peuple malgache a pu s’exprimer en toute liberté ». Il a appelé de ses vœux « une alternance démocratique » et appelé à l’union de « tout le peuple malgache ».